Rebecca, Daphné Du Maurier


Avant de lire ce roman de Daphné Du Maurier avec Magic’, j’ai écouté quelques chansons (en anglais, en allemand et en hongrois ; ma compréhension était donc limitée aux seules images quand il y en avait) de la comédie musicale qui en a été tirée et ai imaginé une toute autre histoire, en confondant à plusieurs reprises le rôle de Mme Danvers et celui du fantôme de Rebecca (qui n’a jamais existé ailleurs que dans mon imagination et celle de Mme Danvers justement). Ce récit imaginé a donc influencé mes attentes et faussé mes impressions, mitigées en partie pour cette raison, lors de ma lecture. 

J’ai rêvé l’autre nuit que je retournais à Manderley. [p. 7] 

Le roman s’ouvre sur un rêve du domaine de Manderley et annonce d’emblée son importance au cours de l’intrigue, ainsi que celle des atmosphères. C’est sur celles-ci que s’appuie Daphné Du Maurier pour construire son intrigue et le suspense qui s’ensuit, grâce à une narration intériorisée à la 1re personne. Chaque évènement est perçu à travers les yeux de la nouvelle épouse du veuf Maxim de Winter, une jeune fille naïve, peureuse et peu accoutumée à la vie aristocratique. Sans connaître le point de vue des autres personnages, le lecteur est donc entraîné dans les mêmes erreurs ou quiproquos, en grande partie causés par le souvenir de la morte perpétué par les domestiques dans la maison, en l’absence d’ordre contraire, et par l’ambiance lugubre que peuvent dégager certaines parties du château. Misant selon moi tout sur cet aspect, Daphné Du Maurier prend le temps de l’installer, en multipliant les menus évènements quotidiens afin de souligner l’étrangeté de certains d’entre eux et en étirant son récit sur la longueur (tant temporelle qu’au niveau du nombre de pages). J’ai admiré la maîtrise narrative de l’auteure et cette façon de construire si habilement son intrigue, mais ai parfois trop attendu autre chose de plus « palpitant » : bien que le secret ne soit pas insignifiant (quoique… Les efforts pour qu’il surprenne sont néanmoins là et font leur effet), les trois premiers quarts du roman se déroulent de façon intimiste, dans la sphère privée et familiale, de façon insidieuse, sans éclat. Tandis que j’attendais un récit fantastique ou à la limite de ce genre, je me suis trouvée face un texte psychologisant très contemplatif, qui verse dans le policier vers la fin ; cela explique donc mes réticences au souvenir de ce roman tant apprécié par quelques anglophiles de la blogosphère. 

[Daphné Du Maurier, Rebecca, trad. par Denise van Moppès, Paris, Le livre de poche, 2010 / 1re publication : 1938 ; 1re traduction française : 1939] 

Pour une présentation plus complète de l'intrigue, je vous conseille l'article de Bianca, qui a beaucoup aimé ce roman. 

Rebecca, le spectacle musical  

Du roman de Daphné Du Maurier, le compositeur Sylvester Levay et le librettiste Michael Kunze ont fait en 2006 un spectacle musical en allemand, qui a ensuite été adapté dans plusieurs pays d’Europe et d’Asie. En raison de l’inexistence ou de la mauvaise qualité des vidéos que j’ai trouvées, je n’ai pas regardé le spectacle original, mais la version hongroise, dans laquelle les rôles principaux sont tenus par deux chanteurs que j’apprécie énormément, tant pour leur voix que pour leur jeu d’acteur. Je n’ai donc pas pu juger de la fidélité des paroles des chansons par rapport au livre et me suis contentée de deviner les évènements en fonction de ma lecture, en m’attachant avant tout aux émotions dégagées et aux ambiances musicales ou créées par les décors. 

Egy álom már csak Manderley / Ich hab geträumt von Manderley 

Les admirateurs du roman et en particulier de l’ambiance telle qu’elle y est construite, pourraient être déçus de ce point de vue, en dépit de la fidélité du récit narré : il était selon moi difficile de la retransmettre, à moins de lire le texte à haute voix, sans l’adapter. Des raccourcis de l’intrigue ont dû être faits (c’est la narratrice du roman qui demande un bal à son mari, comme une enfant excitée à cette perspective, sans intervention d’une invitée importune, par exemple), de même qu’une accélération des évènements (la première partie du récit, en compagnie de Mrs Van Hopper, passe assez vite). De plus, puisqu’il s’agit d’un spectacle, la théâtralisation et le spectaculaire occupent une plus grande place que dans l’œuvre originale. Un exemple frappant de ce fait est le final : très sobre dans le roman, il est représenté de plus près dans la comédie musicale et suivi d’une reprise de la première chanson (le rêve de Manderley), donnant lieu à une scène de départ très digne du couple. En ce qui me concerne, j’ai beaucoup apprécié cet aspect spectaculaire, qui rend l’histoire plus attachante et moins banale qu’elle ne me le paraissait dans le roman. C’est également dû au changement de narration : n’étant plus prise en charge par la nouvelle épouse, le spectateur n’est pas limité à son seul regard et assiste aux monologues des personnages principaux, ainsi qu’aux scènes collectives véhiculant l’avis des domestiques ou des clients de l’hôtel. Ces dernières scènes sont très bien chorégraphiées et apportent une touche humoristique qui m’avait manqué chez Daphné Du Maurier. Le tragique n’est pas oublié pour autant et est encore accentué dans les chansons en solo des personnages tels que la nouvelle épouse, Maxim de Winter ou Mrs Danvers. Ces parties leur apportent une épaisseur psychologique supplémentaire et sont parfaitement jouées par les chanteurs hongrois : Szinetár Dóra est touchante de maladresse, puis de tentative d’affirmation de soi en tant que nouvelle Mrs de Winter, Szabó P. Szilveszter (je n'ai pas trouvé d'affiche du spectacle où il apparaisse à la place de Bereczki Zoltán qui tenait ce rôle avant lui) transmet toujours aussi bien la torture intérieure de son personnage, avec davantage de retenue dans ce spectacle-ci que dans Rómeó és Júlia, et Polyák Lilla est tout à fait magistrale de tragique et de dignité dans le rôle de l’intendante de la maison. 

En conclusion, qu’il s’agisse du roman ou du spectacle musical, tous deux ont leur force et méritent le détour pour ceux qui sont sensibles à ces genres respectifs.

4 commentaires:

  1. Tu as très du mettre les mots sur l'ambiance décrite dans le roman : intimiste et ambiance lugubre. Finalement tu as été bien plus soft que moi. Ta critique donne presque envie de le lire ;) Hihi je vois que tu as tjs aussi fan des comédies musicales :)

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    1. Je te l'avais annoncé, ma critique a été soft, j'en retiens surtout l'attente d'autre chose et l'attribue à mes idées à l'écoute de la comédie musicale plutôt qu'à l’œuvre même. Et oui, je reste accro à ce genre musical et aux versions étrangères. :D

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  2. J'ai énormément aimé ce roman que j'ai déjà lu deux fois. Mais je ne connais rien de ce qui l'entoure, ni les adaptations, ni le musical, ni même le film Hitchcock alors que je suis une grande fan de ce réalisateur. Le livre est intéressant je trouve et on y retrouve un peu le même sujet que dans Vera de von Arnim. Deux romans assez troublants.

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    1. J'aurais peut-être été plus sensible à ce roman sans m'en être fait une fausse idée avec le musical (quoique, Magic' n'a pas accroché), j'ai eu du mal à y trouver de l'intérêt. Je n'ai lu que la Vera de Villiers, je lirai peut-être celle de von Arnim pour comparer. Merci pour ton passage :)

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