C’est une soirée très
ordinaire, dans un coin de la ville. La nuit est montée de la terre, a effacé
le ciel. Maintenant, elle retombe sur chacune des ruelles et des rues qu’elle
épouse, qu’elle étreint, qu’elle révèle de manière étrange. La ville de jour s’en
est allée, une autre ville est là : lueurs des phares automobiles, reflets
de pare-brise et de vitres, néons frénétiques et enseignes lumineuses, éclats
de vernis, de peintures et d’aluminium jeune… Mille brillances solitaires se
reflètent dans les flaques et les graisses…
La nuit est montée de
la terre… [p. 14]
Attirée par cet extrait comme un papillon par la lumière
lors d’un passage à la librairie, j’ai découvert une charmante fable
philosophico-poétique et la plume « exotique » d’un auteur martiniquais,
chez qui la nuit monte de la terre, avant d’y tomber, et où certaines syllabes finales
sont élidées, notamment lorsqu’on s’adresse à son « fi[ls] ». J’ai
également découvert quelques illustrations d’Ianna Andreadis, malheureusement
trop peu présentes et fort semblables d’une page à l’autre.
Après ce début aux accents poétiques qui m’ont beaucoup plu
et ont ensuite trop rarement résonné à nouveau, commence un dialogue à bâtons
rompus entre deux papillons de nuit, l’un jeune et fougueux, jouant avec la lumière
sans s’en approcher trop, et l’autre aux magnifiques ailes préservées, âgé et
faisant figure d’un sage. Au fil des questions du premier et des énigmatiques
réponses ou questions du second, tous deux feront leurs choix de vie avec
davantage de conscience et apprendront que la véritable lumière n’est peut-être
pas celle des lampadaires où se brûlent tant de leurs compagnons. Le message
délivré au terme de ce conte m’a paru très beau et très bien appliqué par l’auteur
dans son texte : sans didactisme trop lourd, ni orgueil condescendant ;
juste une jolie démonstration, que le lecteur est libre de voir ou d’ignorer.
[Patrick Chamoiseau, Le
papillon et la lumière, Paris, Folio, 2013]
* Littérature francophone d'ailleurs : Martinique *
Allez, c'est vendu (parce que tu indiques "sans didactisme trop lourd" -> suis allergique aux "leçons") - ma biblio l'a donc, zou, sur la LAL.
RépondreSupprimerMerci pour la découverte car je n'en avais jamais entendu parler avant que tu n'évoques tes dernières emplettes.
J'espère que la découverte te plaira alors ! Ca reste un texte "philosophique", mais ça ne m'a personnellement pas semblé trop lourd, tu fais ce que tu veux du message que tu y lis ou non. J'ai oublié d'en parler dans l'article, mais ça ressemble à la méthode de Socrate en fait.
SupprimerÇa me fait un livre court sur ma LAL ;)
SupprimerLa fameuse maïeutique socratienne ! La méthode manque de charme sur la forme à mon goût (ça reste "scolaire"), même si elle est efficace sur le fond. En tout état de cause, je note ce livre "pour voir", pas comme un incontournable de ma LAL (de toute façon, quasiment tous les incontournables de ma LAL sont dans mon sac d'emprunts estivaux ;p)
je ne connais pas ce livre et il y a longtemps que j'ai lu l'auteur, merci pour cette contribution à mon challenge
RépondreSupprimerIl est paru tout récemment en Folio, une bonne occasion de le découvrir. ;)
SupprimerLe texte a l'air très beau et la métaphore bien choisie. Tu sais le nb de pages de ce livres ? Car pour moi cela ressemble à un conte philosophique et un conte philosophique n'est intéressant que s'il est assez court et ne traîne pas sur des miliers de pages ;)
RépondreSupprimerJe viens de vérifier, selon le site de Folio, il fait 112 pages ; d'après mes souvenirs, le texte va jusqu'à la page 107 (je l'ai prêté à quelqu'un, je ne sais pas vérifier directement), donc c'est assez court. Ca a justement joué lorsque j'ai pris le parti de le qualifier de conte dans mon article. ;) L'auteur ne traîne pas en longueur, c'est juste assez pour le message qui se dégage à la fin. Je pense que tu pourrais aimer ce petit livre.
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