La Nuit de Valognes, Eric-Emmanuel Schmitt

Ma première rencontre avec cette pièce s’est faite sur scène, lors d’une représentation par les rhétoriciens de mon école : elle devait être particulièrement réussie, puisque je me souvenais des premières lignes de l’intrigue, bien des années plus tard. J’ai donc profité d’un échange de livres pour redécouvrir ce texte, avec un regard différent et une meilleure connaissance du personnage de Don Juan, ainsi que du contexte dans lequel s’inscrit le récit. Bien que la pièce puisse s’apprécier sans cela (j’y reviendrai), il est en effet tout à fait passionnant de déceler les nombreuses références déployées par Éric-Emmanuel Schmitt. 

La référence la plus évidente est bien sûr celle de la reprise du personnage de Don Juan et de son entourage : le fidèle Sganarelle de la version de Molière est bien présent pour discuter avec son maître et jouer le rôle de sa conscience outrée. Don Juan m’a en revanche semblé assez différent de la création du célèbre dramaturge, notamment en raison du changement d’époque : l’action est déplacée au XVIIIe siècle, et le séducteur est devenu un libertin mondain, et non plus un libre-penseur aux mauvaises mœurs. Recherchant le plaisir de la conquête bien plus que celui de la capitulation, il parcourt l’Europe et les classes sociales en quête de nouveaux défis amoureux, comme le faisait le comte de *** de Duclos. Lorsque la pièce commence, il en est arrivé à la fin de sa carrière libertine, au moment où le dégoût de soi-même prend le dessus et où il aspire à une vie heureuse avec une femme estimable. C’est la raison pour laquelle il accepte sans rechigner ni ruser la proposition de quatre de ses anciennes victimes réunies pour instruire son procès : épouser sa dernière conquête et la rendre heureuse (sous peine de finir sa vie en prison). Les personnages féminins constituant le tribunal du séducteur correspondent également à l’esprit de cette transposition au XVIIIe siècle et représentent chacune l’un des types de la production littéraire libertine : la noble libertine, hautaine et vicieuse ; la religieuse forcée (?) qui tente d’oublier l’amour charnel entre les murs de la maison de Dieu ; la précieuse, auteure de romans sentimentaux ; la bourgeoise, pleine de bon sens. Toutes rappellent enfin la belle société réunie pour écouter Don Juan narrer son plus bel amour dans une des nouvelles de Barbey d’Aurevilly.

Si l’on excepte mon plaisir à comparer cette réécriture de Don Juan à celles que j’avais déjà lues/vues, mes impressions lors de cette lecture ont été assez mitigées : j’ai beaucoup aimé les premières répliques, souvent mordantes de la part de la comtesse, lors de l’arrivée des personnages féminins, avant de m’ennuyer assez rapidement après l’entrée en scène de Don Juan. Les scènes de dispute et de « débats » juridiques commencent à se multiplier, et le rythme du texte se ralentit. Il s’accélère à nouveau dans le troisième acte, où les révélations se succèdent et sont extrêmement concentrées. Cela les noie malheureusement un peu les unes dans les autres et en atténue la portée.

[Éric-Emmanuel Schmitt, La Nuit de Valognes, éd. de Claudia Jullien et Pierre Brunel, Paris, Magnard, coll. Classiques et contemporains, 2005]


Si vous êtes intéressés par cette pièce de théâtre, vous le serez peut-être aussi par : 
  • la nouvelle Le plus bel amour de Don Juan dans Les Diaboliques de Barbey d'Aurevilly 
  • La petite sirène de Myriam Mallié et Alexandra Duprez, une autre réécriture/lecture d'une histoire bien connue

2 commentaires:

  1. Bonjour,
    Je n'aime pas du tout le Schmitt romancier, mais cette pièce-là je l'ai vue et elle m'a bien plu (c'était avant que je lise un de ses romans).

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  2. Bonjour,
    Mon mail est indiqué sous l'onglet "Un blog". ;)
    Merci pour ce message et la découverte de ce service. Je réfléchirai à la possibilité de m'y inscrire (j'envisage des changements sur ce blog, donc je préfère patienter au moins jusque là) et vous recontacterai sans doute pour plus de détails à ce sujet.

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