Petites musiques de nuit



À l’occasion de la Nuit musicale de Seneffe de l’an dernier, est né ce recueil collectif belge, « une dodécaphonie de nouvelles suscitées par des œuvres musicales » selon les mots de l’éditeur. Le répertoire couvert est majoritairement classique – d’un chant de Josquin des Prez aux romantiques airs de Beethoven, Schumann ou Wagner, sans négliger le baroque Haendel, le contemporain Satie ou le compositeur d’opéra Puccini –, mais évoque néanmoins par surprise d’autres chanteurs contemporains plus connus, comme Johnny Cash longuement évoqué par Grégoire Polet. Comme le précise l’éditeur, l’évocation ne suffit pourtant pas pour créer une « nouvelle musicale » qui fasse mouche :

Mais il ne suffit pas d’évoquer une œuvre musicale dans un texte pour créer un duo émouvant ; il faut, entre les deux modes d’expression, une imbrication profonde, une symbiose où chacun conserve ses spécificités mais s’enrichit de celles de l’autre. Il faut, pour la littérature, que la musique soit la source intime de l’histoire et de l’écriture.

Certains auteurs ont choisi pour ce faire un modèle assez attendu, d’ordre biographique, en mettant en scène le musicien et les circonstances de la composition. Jacques de Decker, par exemple, décrit joliment le coup de foudre, coup de génie de Wagner pour madame Wesendonck, muse dont il mettra en musique les compositions poétiques. Jean-Baptiste Baronian aborde l’inspiration féminine de façon plus multiple avec Puccini, dit Monsieur Butterfly, en raison de son tempérament d’homme à femmes. Enfin, Pierre Mertens ferme le recueil avec des extraits de son roman Lettres clandestines*, évoquant la vie d’Alban Berg et ses liens avec d’autres compositeurs de son temps. D’autres nouvellistes ont quant à eux privilégié la création fictionnelle autour d’une discussion musicale (la nouvelle de Colette Nys-Mazure est tout à fait intéressante de ce point de vue, par les échanges autour de ce que fait ressentir tel ou tel air à chacun des deux interlocuteurs) ou, plus largement, de ce que rappelle ou fait ressentir la musique aux personnages. Vincent Engel a su me surprendre (mais pas forcément me convaincre) en prenant le contrepied de ses collègues et en choisissant de représenter une femme qui ne supporte plus la musique de Bach.

Deux auteurs m’ont semblé pousser l’inspiration musicale plus loin encore et parvenir à inscrire son rythme dans leur écriture même. Marc Quaghebeurs tout d’abord, qui ouvre le recueil avec Mille regretz, a divisé son texte en courts paragraphes, semblables aux strophes du chant de Josquin Desprez. Le récit s’y déroule comme un tableau, au gré de quelques images marquantes, parfois difficiles à contextualiser malheureusement. Françoise Lalande a au contraire composé sa Sarabande d’une traite, en une unique et longue phrase s’étendant sur quatre pages, comme un seul souffle saccadé ou l’archet sans cesse en contact, même ténu, avec les cordes du violoncelle. De plus, les émotions juvéniles ainsi narrées semblent suivre les inflexions musicales de la 3e suite pour violoncelle de J. S. Bach.

Persuadée qu’il est possible d'inscrire la musique dans la forme du récit (celui de Françoise Lalande le prouve), je suis un peu déçue que la plupart des auteurs de ce recueil n’aient pas exploité cette inspiration et en soient resté à des idées parfois (trop) conventionnelles. Malgré tout, je retiendrai de ce recueil quelques belles écritures et l’envie de les lire à nouveau.

[Petites musiques de nuit, Waterloo, éd. Renaissance du Livre, coll. Grand miroir, 2012]

* Je trouve personnellement ce choix regrettable, non en raison de la qualité du texte, mais du brouillage à nouveau entretenu entre la nouvelle et le roman. Un extrait de roman ne devient pas une nouvelle, et une nouvelle n’est pas un morceau ou un roman abrégé.

* Mois de la nouvelle *
* Littérature francophone : Belgique *

4 commentaires:

  1. Je suis difficile dès qu'un texte parle de musique et tes réserves n'aident pas à me convaincre.
    Comme déjà dit par mail, je te rejoins entièrement quant à ta conclusion sur la nouvelle et le roman. J'ai d'ailleurs emprunté à la BM un recueil estampillé "nouvelles" et, en lisant l'avant-propos, je découvre que l'on y trouve aussi des extraits de romans "autonomes et cohérents"... Je t'en mettrais de l'autonome et du cohérent, moi ! :o

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    1. Je m'en doutais... Comme je te l'ai dit par mail, je ne le considérerais pas comme un incontournable ; si tu tombes dessus un de ces jours, pourquoi pas, mais sans plus. C'était aussi un livre gratuit offert lors d'un évènement, donc il ne doit pas être facile à trouver hors brocantes et autres.
      Parce que ce type de comportement est fréquent en plus ? Je suis d'autant plus atterrée...

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  2. Je crois que je vais passer mon tour. Celui-ci ne m'inspire pas trop.

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    1. On ne peut (heureusement) pas être tenté à tous les coups, j'espère que d'autres présentés ce mois-ci ont été plus inspirants.

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