Quelques mois après ma première lecture, j’ai relu Margot la ravaudeuse, l’un des romans
les plus célèbres de Fougeret de Monbron, un écrivain voyageur, débauché et surtout
misanthrope, dont le pessimisme se ressent assez bien dans cette œuvre publiée
en 1748. C’est l’un des traits que j’y ai apprécié, contrairement à l’humour de
l’auteur, auquel j’ai peu été sensible.
Fougeret de Monbron
Margot la ravaudeuse
[…] il est bien difficile d’être honnête homme quand on est gueux. En effet, que de gens qui passent pour la probité même, parce que rien ne leur manque, qui auraient fait pis s’ils s’étaient trouvés en pareille situation ! Il n’y a rien en ce monde, comme l’on dit, qu’heur et malheur. Ce sont les infortunés que l’on pend : et sans doute, si tous ceux qui le méritent étaient punis de la hard, l’univers serait bientôt dépeuplé. [p. 736]
Cette sentence clôt le roman plutôt qu’elle ne le débute
comme elle le fait dans mon article, mais explique fort bien le parcours de l’héroïne
de Fougeret de Monbron, Margot. Née dans une famille des bas-fonds parisiens,
elle y devient rapidement ravaudeuse (celle qui répare chaussures et vêtements
dans un tonneau sur la voie publique) à la place de sa mère, avant de fuir
cette dernière, d’être repérée par une maquerelle et de devenir prostituée
presque sans y penser. J’exagère quelque peu les traits, mais l’histoire s’achemine
rapidement vers cette issue, en passant par les topos du genre (prédisposition
pour la sexualité, nommé ici tempérament de Messaline, absence de la mère,
rencontre a priori fortuite et inespérée qui se révèle être celle d’une
maquerelle, entre autres), avant d’aborder le parcours de Margot dans cette
profession. Cela donne lieu à une liste de clients tous plus ridicules et
dégoûtants les uns que les autres : ces scènes humoristiques pour le
lecteur recèlent tout de même leur part de vérité et de pessimisme, en révélant
l’horreur d’un tel métier.
Quand je fais réflexion aux épreuves cruelles et bizarres où se trouve réduite une fille du monde, je ne saurais m’imaginer qu’il y ait condition plus rebutante et plus misérable. Je n’en excepte point celle de forçat ni de courtisan. En effet, qu’y a-t-il de plus insupportable que d’être obligée d’essuyer les caprices du premier venu ; que de sourire à un faquin que nous méprisons dans l’âme ; de caresser l’objet de l’aversion universelle ; de nous prêter incessamment à des goûts aussi singuliers que monstrueux ; en un mot, d’être éternellement couvertes du masque de l’artifice et de la dissimulation, de rire, de chanter, de boire, de nous livrer à toute sorte d’excès et de débauche, le plus souvent à contre-cœur et avec une répugnance extrême ? [pp. 691-692]
Aussi répugnante soit-elle, cette profession n’en est pas
moins une occupation lucrative, et cela suffit à Margot pour la poursuivre
jusqu’au dégoût et à une rente suffisamment confortable pour ses « vieux »
jours. La question de l’argent est en effet très présente au sein de ce roman
de fille, bien plus que celle du plaisir, tout comme elle l’était dans Le libertin de qualité de Mirabeau :
indispensable dans le monde et pour y tenir une place plus ou moins élevée, il
est l’unique préoccupation de Margot, qui se perçoit comme une marchande autant
que comme sa propre marchandise. L’amour, tout comme la pensée, lui est
inaccessible dans ces conditions : tous deux nécessitent une position plus
aisée et du temps pour s’y consacrer. Cette attention aux classes sociales et
la soif d’y occuper un échelon plus élevé est également une particularité du
roman de fille par rapport au roman du libertinage mondain (comme ceux de
Crébillon fils, de Duclos ou de Godard d’Aucour par exemple). Elle se traduit
par des descriptions plus poussées des lieux ou des rues parisiennes, ainsi que
par le langage plus familier des personnages de Fougeret de Monbron.
En conclusion, Margot
la ravaudeuse se présente comme un excellent exemple du roman libertin d’ascension
social, dit de fille, ainsi que comme une virulente critique de la société du
XVIIIe siècle, où l’argent est maître de tout et de tous, en égratignant
au passage quelques situations topiques du roman du libertinage mondain (le
final est fort bien réussi de ce point de vue).
[Fougeret de Monbron, Margot
la ravaudeuse, dans Romans libertins
du XVIIIe siècle, éd. de Raymond Trousson, Paris, Robert Laffont, coll.
Bouquins, 2001, pp. 659-737]
Si vous aimez Margot la ravadeuse, vous aimerez
peut-être aussi :
- Le libertin de qualité du comte de Mirabeau
- Les confessions du comte de *** de Charles Duclos
C'est l'un de mes romans libertins préférés, j'avais beaucoup apprécié cette lecture et le personnage de Margot. Très bon billet !
RépondreSupprimerMerci beaucoup ! Je croyais me souvenir que tu l'avais apprécié, ça m'a un peu poussé à le relire. Je préfère d'assez loin les romans du libertinage mondain...
SupprimerOn en a retenu la même citation, je crois. :-)
RépondreSupprimerEt je vois qu'on a eu à peu près le même ressenti.
J'ai l'impression que nos ressentis se rejoignent souvent sur les romans libertins. Celui-ci est un de ceux qui m'a le moins plu, contrairement à Bianca.
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