L'Enfer de la Bibliothèque. Eros au secret, Marie-Françoise Quignard et Raymond-Josué Seckel

En 2007, l’Enfer ouvrait ses portes au public parisien ; étant encore jeune et innocente ne m’étant pas encore passionnée pour le second rayon du dix-huitième siècle, je n’ai pu assister à cette exposition, dont j’ignorais l’existence. Par bonheur, j’ai pu en consulter le catalogue, en particulier la première partie consacrée au dix-huitième siècle (on ne se refait pas, et c’est celle qui m’intéressait dans le cadre d’une travail à réaliser). Y figurent bien sûr la reproduction de quelques pages licencieuses, tant illustrées que rédigées (un extrait de Thérèse philosophe, que vous trouverez bientôt sur ce blog, un dialogue entre vit et con de Félix Nogaret, un pamphlet intitulé Le Godemiché royal), ainsi que des petits encarts sur des auteurs (Diderot, et en particulier à propos de sa Religieuse qui n’a jamais été intégrée à l’Enfer, Rétif de la Bretonne et Pierre Louÿs, notamment), des éditeurs, comme le belge Poulet-Malassis, ou divers sujets, tels que la musique grivoise, la flagellation dans la littérature (qui faisait l’objet d’une cote spécifique dans l’Enfer), le goût de l’antique ou  la technique littéraire et artistique du voilé/dévoilé. Sont également présents de nombreux articles sur l’historique de l’Enfer de la BNF ou certaines sections spécifiques : celle des estampes, des photographies, ou encore sur la gravure libertine, à la fois en continuité et en rupture avec les gravures arétines selon Jean-Pierre Dubost.

Ne pouvant présenter l’ensemble de ces articles, passionnants pour la plupart, je me contenterai de présenter brièvement l’historique de l’Enfer d’après les introductions de Marie-Françoise Quignard et Raymond-Josué Seckel. C’est à la fin du 17e siècle qu’est établi un premier classement méthodique des livres imprimés de la Bibliothèque nationale, afin d’en réaliser un catalogue. Le roman, mal considéré par la critique à l’époque, constitue une cote à part et se divise en « ouvrages badins de toutes sortes de matières » et en « ouvrages licencieux », c’est-à-dire « contraires aux bonnes mœurs » (d’un point de vue moral ; les ouvrages uniquement contraires à la politique ou à la religion n’y sont pas repris). Au cours de l’Ancien Régime, seule une cinquantaine d’ouvrages seront ajoutés à la vingtaine déjà recensés dans cette seconde partie du catalogue ; la Révolution permettra à la Bibliothèque d’enrichir ses collections, en pillant celles des nobles émigrés ou des ecclésiastiques. Ces livres sont parfois rangés dans des tiroirs ou des armoires, afin de ne pas les laisser à la portée des visiteurs : une certaine forme de censure s’exerçait déjà, mais il n’était pas encore question d’Enfer. Cette notation n’apparaît que sous le règne de Louis-Philippe, lors d’une remise en ordre des catalogues de la Bibliothèque. Cette dernière est seule responsable de cette décision, qui n’a rien de politique (la tendance était plutôt au libéralisme à l’égard du livre) et confirme en quelque sorte une condamnation sociale, à l’époque où le livre devient plus accessible dans les classes populaires. Les ouvrages sont recensés dans les catalogues accessibles aux visiteurs, mais il est en revanche difficile d’y avoir accès. Il faudra ensuite attendre 1969 pour que cette section soit fermée, suite aux évènements de mai 68 et à l’exposition consacrée à Apollinaire, auteur d’un catalogue exclusivement consacré aux ouvrages de l’Enfer avec Fernand Fleuret et Louis Perceau en 1913. L’Enfer existe néanmoins toujours, puisqu’il a été rouvert en 1983, dans un but bibliophilique de conservation de quelques éditions anciennes ou, plus rarement, contemporaines, et non plus de répréhension morale.

[Marie-Françoise Quignard et Raymond-Josué Seckel (éd.), L’Enfer de la Bibliothèque. Éros au secret, Bibliothèque nationale de France, 2007.]


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7 commentaires:

  1. Très intéressante ta chronique :)
    Bonne journée bisous

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    1. Merci ! Ca me fait plaisir qu'elle t'ait intéressée, c'est un sujet qui me passionne tant. :)
      Bonne journée, bisous.

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  2. J'avais acheté il y a très longtemps 2 tomes de l'Enfer de la BNF, ceux consacrés au 18è, je ne connaissais pas cette nouvelle édition, merci pour la découverte !

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    1. Je ne connais quant à moi pas ces éditions dont tu parles, je t'envie un peu. ;)

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  3. Merci pour ce billet. Je le laisse donc dans ma LAL.

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    1. Il y a tout à fait sa place. :) Je te l'aurais prêté avec plaisir, mais je l'ai moi-même consulté à la bibliothèque (je n'ai même pas pu l'emprunter)

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  4. Je trouve ça passionnant! En fait tout ce qui touche la censure, la mise à l'index des livres, du cinéma, ça m'intéresse énormément. Je suis toujours ébahie, inquiète, étonnée, choquée, de voir combien les gens ou les autorités peuvent exercer une forme de pouvoir sur ce qui est publié ou disponible au public. La censure dans le livre pour la jeunesse m'intéresse aussi beaucoup si quelqu'un passe par ici et a des suggestions...
    Bref, un sujet passionnant je trouve!

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