J’avais
déjà lu Le Liseur, il y a quelques années, dans un exemplaire sur lequel
ne figuraient pas encore Ralph Fiennes et Kate Winslet, à un moment où les
visages de ces acteurs ne m’apparaissaient pas encore derrière les mots de
Bernhard Schlink. De cette première lecture, j’avais gardé un souvenir assez
marquant de l’intrigue, mais avais tout oublié des sentiments suscités par
celle-ci. J’avais oublié à quel point la narration de l’auteur pouvait me
plaire et surtout à quel point ce roman était riche de questions plus ou moins
dérangeantes. J’avais oublié à quel point ce récit me touchait et avais tout de
même laissé une trace – même discrète – dans ma vie de lectrice.
Le Liseur, c’est tout d’abord l’histoire d’un jeune homme qui s’éprend d’une femme plus âgée, avec qui il vivra une relation de quelques mois. Au delà des très belles scènes d’amour, écrites de façon suggestive, tout en maintenant un mélange de brutalité et de délicatesse maladroite, j’ai été frappée par le regard très subjectif posé sur la femme aimée. Tout comme dans La nuit bengali de Mircea Eliade, elle apparaît à plusieurs reprises mystérieuse, comme vue à distance, et déroutante pour cette raison. La différence d’âge, ainsi que d’autres éléments propres à la personnalité du personnage féminin, semble maintenir une barrière entre les deux amants et laisser de même le lecteur dans une part d’inconnu. Celle-ci sera levée au cours du récit, mais partiellement seulement et subsistera dans les interrogations du narrateur vieillissant. Ces questions, parfois formulées en tant qu’annonces, m’ont davantage marquées lors de cette relecture, puisque je savais ce qu’elles cachaient, comme celle-ci :
La part la plus connue de ce roman – ou du moins celle dont j’avais gardé le souvenir le plus fort – est plutôt contenue dans la seconde partie, lorsque s’amorce une réflexion sur la seconde guerre mondiale et la Shoah, perçue du coté allemand et par la « seconde génération », les enfants de ceux qui ont vu, voire participé, aux atrocités de cette période. Sans le savoir, le narrateur a été le représentant du sentiment général, de cette honte mêlée de culpabilité et de soif d’accusation, qui a caractérisé tous les jeunes de cette époque. J’ai personnellement du mal à comprendre les questionnements qui les ont agité, du fait du recul de quelques générations encore, mais cela ne m’interpelle pas moins : comment les « coupables » et les héritiers de ce fait historique – c’est-à-dire ceux qu’on a tendance à ne pas voir vraiment derrière les victimes – l’ont-ils vécus ?
Enfin, ainsi que je le disais ci-dessus, je me souvenais d’une narration linéaire d’un point de vue chronologique et avais oublié le regard du narrateur plus âgé, qui surgissait parfois dans le récit de sa jeunesse. Si le procédé n’est pas neuf, il me semble bien exploité par Schlink, de façon intelligente et à interpeller le lecteur, par quelques réflexions, questions ou prises de recul. C’est aussi ce regard qui a participé à mon émotion, l’a suscitée même.
[Bernhard Schlink, Le liseur, trad. par Bernard Lortholary, Paris, Gallimard, coll. Folio, 1999.]
Le film de Stephen Daldry :
J’ai vu le film de Stephen Daldry entre mes deux lectures et
l’ai trouvé très fidèle, d’après mes souvenirs du moins. Le réalisateur a fait
le choix de ne pas suivre la narration chronologique de Bernhard Schlink et
d’alterner les passages entre les différentes époques. Aucune voix off n’intervient
en guise d’explications, seule la mention du lieu et de l’époque apparaît en
bas d’écran. Tout passe par le regard très expressif de Ralph Fiennes, qui nous
plonge dans ses souvenirs. Ceux-ci sont magnifiquement bien joués par David
Kross et Kate Winslet. Celle-ci tout particulièrement incarne une Hannah
parfaite depuis les débuts de la relation jusqu’à sa vieillesse, à la fois
forte et fragile, très touchante.
Le Liseur, c’est tout d’abord l’histoire d’un jeune homme qui s’éprend d’une femme plus âgée, avec qui il vivra une relation de quelques mois. Au delà des très belles scènes d’amour, écrites de façon suggestive, tout en maintenant un mélange de brutalité et de délicatesse maladroite, j’ai été frappée par le regard très subjectif posé sur la femme aimée. Tout comme dans La nuit bengali de Mircea Eliade, elle apparaît à plusieurs reprises mystérieuse, comme vue à distance, et déroutante pour cette raison. La différence d’âge, ainsi que d’autres éléments propres à la personnalité du personnage féminin, semble maintenir une barrière entre les deux amants et laisser de même le lecteur dans une part d’inconnu. Celle-ci sera levée au cours du récit, mais partiellement seulement et subsistera dans les interrogations du narrateur vieillissant. Ces questions, parfois formulées en tant qu’annonces, m’ont davantage marquées lors de cette relecture, puisque je savais ce qu’elles cachaient, comme celle-ci :
Pourquoi suis-je triste, quand je repense à ce temps-là ? Est-ce le regret du bonheur passé ? Car je fus heureux les semaines suivantes, durant lesquelles je me suis vraiment abruti de travail, réussissant à ne pas redoubler, et durant lesquelles nous nous sommes aimés comme si rien d’autre au monde ne comptait. Est-ce de savoir ce qui vint ensuite, et que ce qui se révéla ensuite était déjà là ? Pourquoi ? Pourquoi ce qui était beau nous paraît-il rétrospectivement détérioré parce que cela dissimulait de vilaines vérités ? [p. 48]
La part la plus connue de ce roman – ou du moins celle dont j’avais gardé le souvenir le plus fort – est plutôt contenue dans la seconde partie, lorsque s’amorce une réflexion sur la seconde guerre mondiale et la Shoah, perçue du coté allemand et par la « seconde génération », les enfants de ceux qui ont vu, voire participé, aux atrocités de cette période. Sans le savoir, le narrateur a été le représentant du sentiment général, de cette honte mêlée de culpabilité et de soif d’accusation, qui a caractérisé tous les jeunes de cette époque. J’ai personnellement du mal à comprendre les questionnements qui les ont agité, du fait du recul de quelques générations encore, mais cela ne m’interpelle pas moins : comment les « coupables » et les héritiers de ce fait historique – c’est-à-dire ceux qu’on a tendance à ne pas voir vraiment derrière les victimes – l’ont-ils vécus ?
Enfin, ainsi que je le disais ci-dessus, je me souvenais d’une narration linéaire d’un point de vue chronologique et avais oublié le regard du narrateur plus âgé, qui surgissait parfois dans le récit de sa jeunesse. Si le procédé n’est pas neuf, il me semble bien exploité par Schlink, de façon intelligente et à interpeller le lecteur, par quelques réflexions, questions ou prises de recul. C’est aussi ce regard qui a participé à mon émotion, l’a suscitée même.
[Bernhard Schlink, Le liseur, trad. par Bernard Lortholary, Paris, Gallimard, coll. Folio, 1999.]
* Lecture commune avec Tête de Litote *
Le film de Stephen Daldry :

Excellent billet. Comme toi, j'ai été interpellée par cette voix du narrateur qui revient sur son passé, à la fois intime et générationnelle. ET pourtant, je ne sais pas l'expliquer, cette lecture n'a pas été un coup de coeur, quelque chose de froid ( un effet qui doit être voulu )
RépondreSupprimerMerci beaucoup. Ce n'est pas un coup de cœur pour moi non plus, même si je peux en donner l'impression : j'ai aussi l'impression que quelque chose m'arrête, ne me laisse pas m'émouvoir ou me laisser aller tout à fait ; peut-être le recul critique du narrateur, oscillant lui-même entre des sentiments contradictoires vis-à-vis de ces souvenirs.
SupprimerJe pense que tu as raison, nous ressentons les sentiments complexes du narrateur, d'où le malaise.
SupprimerC'est pour cela que je me promets depuis des lustres de lire un autre roman de l'auteur, pour confronter le style.
J'ai lu un recueil de nouvelles de lui, qui n'est toujours pas un coup de cœur pour moi non plus. Je crois qu'il y a en effet une "froideur" dans son écriture qui joue aussi dans cet effet (tu n'es pas la seule à le dire, cf. ci-dessous)
SupprimerJ'ai beaucoup aimé moi aussi ce roman qui m'a bouleversé et ému, sans être un coup de coeur non plus mais il reste longtemps en mémoire. J'ai vu le film ensuite et il est remarquable et fidèle au livre.
RépondreSupprimerNous sommes vraiment tout à fait d'accord sur ce roman-ci.
SupprimerJ’ai lu le livre il y a quelques années et en avais gardé un bon souvenir. Du coup, lorsque le film est sorti, je n’ai pas osé aller le voir de peur d’être déçue mais tu me donnes envie de le regarder finalement !
RépondreSupprimerJ'espère que tu ne seras pas déçue par le film si tu le regardes suite à mon avis : il ne vaut pas le livre par certains aspects, mais est globalement très beau et fidèle.
SupprimerPareillement, lu il y a qq années, j'avais trouvé ce roman magnifique, poignant.
RépondreSupprimerJ'ai vu l'adaptation cinémato avec la sublime Kate Winslet que j'ai trouvé réussie. Mais rien ne vaut la lecture de ce magnifique roman.
Je suis d'accord avec toi : quand j'y repense, le film m'a plu, mais il lui manque quelque chose du livre, peut-être cette voix "off" qui traverse tout le roman entre autres.
SupprimerJ'ai lu ce roman l'an passé parce que voilà longtemps que je retardais le moment de le lire et que je ne voulais pas voir le film avant (c'est un principe chez moi et j'essaie de ne pas déroger à ma règle). Et puis, c'est un thème de l'histoire que j'aime énormément. Ce livre n'est pas un coup de coeur pour moi non plus mais j'ai été touchée au plus haut point tout de même. Le fait de ne pas se centrer seulement sur la période historique mais sur les ressentis de Michael m'a beaucoup intéressée. Ensuite, vient le procès, partie de l'histoire que je ne trouve pas souvent (voire très peu) exprimée dans un roman (et cela est bien dommage à mon humble avis).
RépondreSupprimerPAr la suite, j'ai donc vu le film est il est vrai qu'il est fidèle au livre. Kate Winslet est ENFIN récompensée pour son art et c'est simplement mérité. Hanna est un personnage qui est assez énigmatique au début et comme dans le livre, j'ai fini pas l'apprécier.
Bref ... merci pour ce bel article.
Merci pour ce commentaire. :)
SupprimerJ'essaie en général aussi de ne pas voir les films avant de lire les livres, quand je sais qu'ils sont adaptés de ce support du moins, même si cela occasionne souvent des déceptions (l'inverse est moins vrai, j'ai découvert mon roman préféré par un film).
Tu parles vraiment très bien de ce livre qui pourtant, selon certaines critiques parfois, ne me tentait pas forcément... A voir pour plus tard.
RépondreSupprimerJe te souhaite une belle journée Minou :D bises
J'espère que tu l'apprécieras autant que moi ! Je suis contente d'avoir réussi à te donner envie, au moins pour plus tard. ;)
SupprimerBelle soirée, Laure. Bises.
Très joli article, bien complet : film pas vu, livre lu il y a un nombre certain d'années (bon souvenir mais pas un coup de cœur : écriture jugée trop froide par rapport aux thèmes exploités).
RépondreSupprimerMerci ! Tu n'es pas la seule à avoir eu cette impression d'écriture trop froide. Personnellement, elle ne m'a pas vraiment arrêtée, même si je ne vais pas jusqu'au coup de coeur, sans doute "à cause" d'elle.
SupprimerJ'avais déjà envie de le relire et ton billet ravive d'autant plus ce désir. Il faut dire que ma première lecture date et que je suis curieuse de savoir, non seulement si je serais toujours autant séduite, mais aussi si mon regard se sera affûté avec le temps. A inscrire à mon planning de relectures pour 2014...
RépondreSupprimerMerci pour ce billet !
(toujours pas envie d'en voir l'adaptation, cela dit : le livre me suffit.)
J'en suis ravie. ;) Je suis moi aussi curieuse de savoir ce que tu en penserais actuellement et si ton regard différerait de ce que tu m'as dit de ton souvenir.
SupprimerJe comprends pour le film : je n'ai jamais cherché à le voir, j'ai plutôt saisi l'occasion qui s'est proposée quand on m'a prêté le dvd (ou plutôt quand on l'a prêté à ma sœur en me disant que ça me plairait)
Merci d'avoir sorti ce roman de ma PAL, ce fut une très belle découverte ! J'ai beaucoup accroché avec la plume de Schlink et j'ai été étonnée de voir à quel point le film avait été fidèle au roman :)
RépondreSupprimerMerci à toi de m'avoir suivie et de m'avoir encouragée à le sortir de ma liste à relire. ;)
SupprimerJ'avais aimé le livre, sans plus, et adoré le film... en général c'est plutôt l'inverse :)
RépondreSupprimerJe suis restée dans la tradition cette fois, j'ai préféré le roman pour son aspect plus réflexif que le film d'après moi.
SupprimerJ'ai vu le film mais pas lu le livre :)
RépondreSupprimerC'est drôle mais cette histoire, le livre comme le film (même si je trouve des longueurs au film) m'ont tellement émue... Je ne sais pas ce que ça vient chercher chez moi, mais je suis en larmes à chaque fois...
RépondreSupprimerIl y a des réflexions / histoires qui nous touchent sans qu'on en comprenne vraiment les raisons... En tout cas le liseur est un de ceux là...
Ca n'a pas été mon cas la première fois, mais pendant cette relecture, j'étais aussi en larmes à la fin, quand je me suis rappelé du dénouement peu de pages avant qu'il n'arrive.
SupprimerJ'ai vu le film mais en fin de compte je vais essayer de le lire quand même
RépondreSupprimerIl en vaut la peine, je pense. Le film en rend bien compte, mais ça reste différent, et la narration est assez intéressante.
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