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Voisenon par (anonyme) |
Abbé de Voisenon
Tant mieux pour elle
Le sultan Misapouf
J’ai choisi de présenter ces deux contes ensemble, car ils
sont très proches au niveau de leur toile de fond orientale et au niveau formel :
dans ces deux textes, Voisenon parodie les contes de fées du 17e et
18e siècle. Pour ce faire, il en reprend les éléments topiques, tels
que les bonnes/mauvaises fées présidant aux naissances d’illustres princes et
princesses, les diverses transformations en objets ou en animaux, les voyages
initiatiques afin de mériter la belle (et le bel ! Les épreuves ne sont
pas réservées aux seuls hommes), afin de les détourner par l’ironie.
Tant mieux pour elle peut être rapproché de Tanzaï et Néadarné de Crébillon fils par
la problématique de l’initiation sexuelle des jeunes gens, amenant celle de l’infidélité
féminine : ces deux sujets ne sont pas abordés frontalement, mais à
travers de nombreuses transformations animalières, prédites par l’oracle du
palais, le Grand Instituteur, qui a coutume d’achever ses énigmatiques
sentences par un grotesque et ironique « Tant mieux pour elle ».
Voici par exemple comment il tranche la rivalité entre deux princes :
Le Prince Discret aura la Princesse Tricolore, et ne l’aura pas ; tant mieux pour elle. Le Prince Potiron aura la Princesse Tricolore, et ne l’aura pas ; tant mieux pour elle et pour moi.
Les noms cités dans cet extrait montrent d’emblée que ce
conte se situe clairement dans la veine comique. Cet humour particulier, très
grinçant et jouant de l’ironie, ne plaira peut-être pas à tous les lecteurs
actuels, mais m’a personnellement beaucoup amusée.
J’ai donc retrouvé avec plaisir ce persiflage dans Le
sultan Misapouf, conte dans lequel Voisenon joue des procédés du
roman-mémoire. Les deux narrateurs se racontent en effet successivement leurs
aventures, en insistant sur la véracité de leur récit, pourtant très
fantaisiste, faisant intervenir prédictions et métamorphoses :
– Seigneur, vous êtes toujours galant, répliqua Grisemine, cela me fait espérer que Votre Sublime Majesté voudra bien me raconter ses aventures.– Volontiers, dit le sultan ; mais à charge de revanche. Je commence par vous avertir que mon âme a passé dans le corps de plusieurs bêtes […] c’est par la malice d’une injuste fée que tout cela m’est arrivé. […] Premièrement j’ai été lièvre, ensuite lévrier, puis renard, et je dois, dit-on finir par être un animal que je ne connais point, qu’on appelle capucin.
Ce qui n’est pas dit dans cet extrait, c’est qu’avant cela,
le sultan fut également une baignoire servant aux bains de l’injuste et hideuse
fée. Celle-ci a également transformé la sultane en bidet et en lapine. Non
contente de ces persécutions, elle a multiplié les sortilèges et imbriqué les
aventures des uns et des autres. Le caractère libertin de celle-ci tient à leur
nature sexuelle : les allusions sont voilées, mais de façon suffisamment
transparente pour que tout lecteur averti s’en amuse aisément.
Si vous avez aimé ces
deux contes de Voisenon, vous aimerez peut-être aussi :
- Tanzaï et Néadarné de Crébillon fils
- Le sopha de Crébillon fils
- Les bijoux indiscrets de Diderot
Histoire de la félicité
Raymond Trousson présente ce conte-ci comme plus moral, mais
j’y ai personnellement tout de même décelé quelques traces d’ironie de la part
de Voisenon envers sa propre écriture et le genre des romans-mémoires
consistant à narrer ses égarements à ses enfants afin de les empêcher de
commettre les mêmes erreurs :
C’est, je crois, la meilleure façon d’instruire des enfants. Il y a apparence qu’elle devint à la mode, car les jeunes gens ne font sans doute tant de sottises que pour amasser des matériaux pour la perfection de leurs descendants.
Il est vrai qu’excepté cette petite pique ironique, la suite
du conte est moins badine et se veut anti-mondaine, reflétant le malaise du
libertin qu’on trouve notamment dans les Égarements
du cœur et de l’esprit de Crébillon fils ou dans les Confessions du comte de *** de Duclos. Le premier narrateur,
Thémidore, confie donc à son fils son parcours à la recherche de la félicité :
après l’avoir recherchée dans les plaisirs de l’amour et de la société
mondaine, il cherche à combler le vide de son existence dans les honneurs à la
Cour, mais n’y trouve décidément pas son bonheur. Il le trouvera finalement
dans une vie reculée et dans une amitié respectueuse avec sa femme. Celle-ci a
elle aussi longtemps cherché la félicité avant de la trouver auprès de son
mari. Elle aurait pu suivre une carrière libertine de petite-maîtresse, mais
son récit à sa fille dévoile plutôt le parcours d’une vertu persécutée,
échappant de justesse aux dangers et aux tentations surtout :
« Ma mère, je vous suis bien obligée de vos instructions, j’espère que vos expériences me suffiront ; mais je ne puis m’empêcher de vous dire que vous l’avez échappé belle. »
La matière narrative de ce conte n’est donc pas nouvelle et
s’inscrit dans les deux traditions que j’ai évoquées dans mon article sur le
comte de Duclos. Voisenon les traite de façon très rapide et brève, ce qui ne
permet donc pas un réel approfondissement psychologique des personnages, ni une
quelconque innovation formelle.
Si vous avez aimé l’Histoire de la félicité de Voisenon,
vous aimerez peut-être aussi :
- Les égarements du cœur et de l’esprit de Crébillon fils
- Confessions du comte de *** de Duclos
- Histoire de Madame de Luz de Duclos
Je les ai lus il y a fort longtemps et je me souviens avoir bien aimé Le sultan Misapouf
RépondreSupprimerJe ne sais pas si j'en garderai un souvenir vraiment marquant, mais ça m'aura au moins agréablement divertie.
SupprimerCe n'est pas la Voisin dans l'affaire des poisons?
RépondreSupprimerJe me souviens vaguement avoir lu Le sultan Misapouf et n'avoir pas été très sensible à l'humour. Le second, en revanche, ne m'a laissé aucun souvenir. D'où l'utilité de relire!
Heureusement que tu es là pour me signaler mes erreurs... J'avais vraiment gardé en tête ce nom de Voisenon.
SupprimerJe commence à m'habituer à l'humour orientalisant du 18e siècle et à y sourire.