Badinage et libertinage - Godard d'Aucour : Thémidore ou mon histoire et celle de ma maîtresse



Godard d’Aucour et ses « agréables bagatelles qui marquent un auteur plein de goût et ennemi du mauvais » (Sabatier de Castres) a été oublié par l’histoire littéraire générale, mais cela n’a pas arrêté Raymond Trousson qui l’a jugé digne de figurer dans son anthologie Romans libertins du XVIIIe siècle publiée chez Bouquins. J’en profite pour signaler cette excellente édition aux participants du challenge Badinage et libertinage : la préface du rédacteur propose une présentation très complète et intéressante du roman libertin, ainsi que des introductions enrichissantes aux œuvres choisies. Celles-ci sont sélectionnées parmi quelques grands auteurs du genre (Crébillon fils, Duclos, La Morlière, Boyer d’Argens, Fougeret de Montbron, Dorat, Andrea de Nerciat ou Vivant Denon), ainsi que quelques autres moins (re)connus et édités (dont Godard d’Aucour, suivi de Voisenon et Chevrier).



Godard d’Aucour
Thémidore 
ou mon histoire et celle de ma maîtresse

Monsieur Thémidore est un jeune homme riche, beau, bien fait, d’un excellent caractère, plein d’esprit, et qui aime éperdument le plaisir : avec ces qualités, il n’est pas étonnant qu’il ait recherché les occasions de s’amuser et qu’il les ait rencontrées. [Avertissement]
C’est ce héros et épistolier que nous suivons dans le roman de Godard d’Aucour : un jeune homme de robe, vigoureux amant (sans excès, contrairement à d’autres héros), épris d’une jolie courtisane, Rozette, après que leurs ébats aient été dérangés par l’irruption d’un père inquiet et de gardes. Tout en ne devenant pas encore tout à fait populaire, le libertinage s’embourgeoise ici et se fait joyeux. Seuls les plaisirs sont présents lors des parties fines, qui m’ont fait penser à celles du Régent et de Louis XV, sans irruption du désespoir aristocratique présent chez Crébillon*. Médisances, petites piques contre le clergé et sentences misogynes s’invitent à la fête, mais restent légères et s’intègrent tout à fait au ton de la conversation badine qui règne entre ces personnages. Rien n’est vraiment dramatique dans l’esprit de Thémidore, qui profite de sa jeunesse et vole d’un plaisir à l’autre, saisissant chacune des aventures galantes se présentant. Celles-ci sont narrées dans un style très gazé, jouant de l’ellipse et des élégantes périphrases, ainsi que l’annonce Godard d’Aucour :
Nous ne conseillons point aux âmes scrupuleuses de jeter les yeux sur ces aventures ; elles sont quelquefois chatouilleuses et capables d’exciter des idées extrêmement éveillées […] Au reste, ces mémoires sont écrits avec retenue : il n’y a aucun mot qui puisse blesser la modestie ; mais on ne répond pas des idées qu’ils peuvent faire naître. Ils sont semés de sentences très sages et aisées à retenir ; ils sont dans le goût actuel du public, puisqu’ils ne contiennent que d’aimables bagatelles bien dictées et plus propres à amuser l’esprit qu’à nourrir le cœur. [Avertissement]
Tout comme Vivant Denon à la fin du siècle, Godard d’Aucour ne cherche pas à moraliser ou à convaincre le lecteur de quelque philosophie – même hédoniste – que ce soit, son seul objectif est l’amusement du lecteur par quelques « bagatelles » plaisamment narrée. C’est jusqu’à maintenant l’œuvre qui me semble correspondre le plus à l’intitulé de mon challenge : badinage et libertinage, et au tableau du logo, L’escarpolette de Fragonard. L’objectif de divertissement est donc atteint pour moi, mais ne me laissera guère un souvenir inoubliable : la légèreté du ton est certes plaisante, mais ne contribue pas à fixer les évènements dans la mémoire.

* Pour en savoir plus sur ce sujet, je vous conseille la lecture de la préface de Raymond Trousson et de L’âge libertin de Claude Reichler.

[Godard d’Aucour, Thémidore ou mon histoire et celle de ma maîtresse, dans Raymond Trousson (éd.), Romans libertins du XVIIIe siècle, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, 2001, pp. 265-354.]


Si vous aimez Thémidore ou mon histoire et celle de ma maîtresse, vous aimerez peut-être aussi :
  • Margot la ravaudeuse (pour un point de vue féminin et interne sur le monde de la prostitution et de la courtisanerie) 
  • Point de lendemain de Vivant Denon (pour un retour au libertinage mondain)

4 commentaires:

  1. Je l'ai lu il y a bien longtemps ce recueil. L'un de mes romans préférés du 18e est Margot la ravaudeuse justement. Je ne me souviens plus de Themidore, la fin du siècle a produit de moins bons ouvrages de mon point de vue

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    1. J'ai lu Margot la ravaudeuse en septembre, il faudrait que je le relise pour pouvoir en parler. J'en ai gardé un bon souvenir, mais ma préférence va plutôt aux romans du libertinage mondain qu'à ceux de filles. Pour Thémidore, il ne semble pas vraiment marquant et appartient à la fin de la première moitié du siècle. ;) Quels romans te semblent moins bons à la fin du siècle par exemple ? J'apprécie moins l'esthétique révolutionnaire et la veine sentimentale qui envahit même les derniers romans libertins.

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    2. Ce sera ma prochaine lecture pour ton challenge!

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    3. Je me souvenais qu'on en avait parlé sur ton dernier article. :) J'espère que cette lecture te plaira !

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