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Denon par R. Lefèvre |
Tout comme Laclos, Vivant Denon est l’homme d’une seule œuvre
libertine ; la différence réside néanmoins dans leur renommée : le
premier n’est plus connu que pour ses Liaisons
dangereuses, tandis qu’on se souvient plus aisément du second en tant que
dessinateur lors de la Campagne d’Egypte de Napoléon et en tant que directeur
du Musée du Louvre. La nouvelle Point de
lendemain vaut pourtant la peine d’être lue et n’a pas manqué de me
charmer, ainsi que Dorat en son temps :
La narration de ce conte m’a paru piquante, spirituelle et originale. Le fond d’ailleurs en est vrai, et il est bon, pour l’histoire des mœurs, de faire contraster quelquefois avec les femmes intéressantes dont ce siècle s’honore, celles qui s’y distinguent par l’aisance de leurs principes, la folie de leurs idées et la bizarrerie de leur caractère.
Cette note figure en exergue dans la première
édition du texte.
Il existe deux versions de cette œuvre : la première, parue en
1777, révèle le nom du narrateur et est assez cynique. La seconde, quant à elle,
est épurée des passages les plus impertinents et rajeunit le personnage
principal de cinq ans : ainsi âgé de 20 ans, il apparaît comme le
traditionnel jeune homme inexpérimenté et encore naïf. Cela rend le récit plus
vraisemblable, mais également moins acéré d’après moi : le regard du
premier Damon était bien plus lucide envers la société dans laquelle il évolue.
Vivant Denon
Point de lendemain
Je cherchai bien la morale de toute cette aventure, et… je n’en trouvai point.
La dernière phrase de ce conte est assez significative de l’ensemble
du texte : il est inutile d’y chercher une quelconque morale ou leçon,
seuls le caprice et l’inspiration d’un moment ont présidé à cette plaisante
aventure. Celle-ci est initiée par Madame de T***, femme soucieuse de sa
réputation et sachant la préserver (sans avoir celle d’une prude pour autant),
à qui il prend brusquement la fantaisie d’enlever le jeune narrateur à une de
ses amies et de l’emmener à la campagne de son mari. Bien que surpris, Damon se
laisse conduire et entraîner dans un rêve éveillé. Cette dimension onirique est
en partie causée par la rapidité des évènements. Cette vitesse se répercute sur
la narration et donne au lecteur la sensation d’être lui aussi pris dans ce
tourbillon. Toutes les procédés d’usage de ce type d’arrangement amoureux sont
respectés, mais de façon accélérée, en une nuit. Vivant Denon livre donc dans
cette nouvelle une épure des intrigues libertines aristocratiques et
romanesques : tel Meilcour par Madame de Lursay, Damon est initié à l’amour
et à ses délicatesses par Madame de T***, bien plus rapide dans cette
entreprise. Elle y est bien entendu aidée par son jeune apprenti, déjà formé au
langage codé de la société de l’époque.
Comme l’annonce le titre, cette nuit d’initiation et de rêve
restera sans lendemain :
Tout m’échappe avec la même rapidité que le réveil détruit un songe, et je me trouvai dans le corridor avant d’avoir pu reprendre mes sens.
Le conte se poursuit alors, non plus sur le mode érotique
comme précédemment, mais sur celui de la comédie : les retournements de
situation se succèdent – avec bonheur, pour qui sait les lire entre les lignes,
comme il est de coutume dans ces récits du 18e siècle –, chacun joue
son rôle, sans toujours se rendre compte de son ridicule, et tous repartent
contents. Bien sûr, tout n’est pas idyllique dans ce dernier tableau, le
cynisme de Vivant Denon ne s’efface pas ainsi : la figure de Madame de T*** domine
comme celle de la marionnettiste dans la pièce qui se joue, c’est-à-dire comme
celle qui manipule tout ce beau monde et est la seule à sortir indemne de cette
comédie sociale et amoureuse.
Conviens que le théâtre du monde offre des choses bien étranges, qu’il s’y passe des scènes bien divertissantes.
- La Nuit et le moment de Crébillon fils
- La Messaline française (anonyme)
Celui-ci aussi est dans mon recueil. Il ne m'en reste plus aucun souvenir, d'om l'intérêt d'une relecture!
RépondreSupprimerC'est un texte très court, à l'intrigue peu inoubliable finalement. J'espère que tu auras autant plaisir que moi à le relire !
SupprimerEtrange... L'auteur m'évoque plutôt un voyage en Egypte avec Napoléon... et une aile du Louvre!!!
RépondreSupprimerIl en a été directeur et a en effet accompagné Napoléon en Egypte. Il est plus connu pour ces fonctions-là que pour ce délicieux conte libertin. ;)
SupprimerJe le note pour ma découverte du courant libertin ! :)
RépondreSupprimerJ'espère qu'il te plaira autant qu'à moi !
SupprimerUn bel article super documenté et qui me montre mon inculture crasse. Bon, un jour, je lirai ce petit conte coquin, un jour proche ...
RépondreSupprimerMerci beaucoup pour le compliment :D Ne te sens pas inculte à cause de moi ! J'ignorais jusqu'au nom de cet homme avant de me lancer dans une étude du libertinage et n'aurais rien compris à ce conte sans avoir lu un certain nombre de romans libertins auxquels j'ai pu le comparer. ;) Je suis curieuse d'avoir ton avis quand, un jour proche, tu auras lu ce délicieux petit texte.
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