Alexandre tourne avec
fièvre, la tête en arrière, bouche ouverte vers le ciel. Il est bien. Il sait
qu’il ne devrait pas s’épuiser ainsi, il sent que son corps n’en a pas la force
mais il le fait avec ivresse, « C’est la dernière fois », pense-t-il.
Il danse avec rage. […] Il continue à tourner sur lui-même au rythme de la
musique. Il est faible, il le sent. Si la musique ne le portait pas, il
s’écroulerait mais il veut danser encore pour tout oublier. [p. 23]
C’est la fin. Alexandre, le grand conquérant de l’Antiquité,
se meurt. Autour de la chambre funéraire plongée dans le silence, se trament
déjà les premiers complots, les discussions autour de cet immense héritage, les
alliances, les trahisons et les meurtres. On envoie chercher la veuve
d’Héphaistion, Dryptéis, et son aïeule, celle qui est capable de dire la mort
ou la vie, tandis qu’un mystérieux fidèle du souverain est en route pour le
rejoindre. Mais Alexandre ne sait pas mourir : commence alors son dernier
voyage, par le biais de sa dépouille et de son esprit encore insatiable de
conquêtes.
Ce dernier voyage se fera par et grâce à d’autres
personnages, pris dans un destin qu’ils n’ont pas choisis. J’ai été particulièrement
touchée par deux d’entre eux, dans ce groupe de la dernière escorte : par
Ericléops et surtout par Dryptéis. Le premier accepte totalement son destin et
est tout dévoué à Alexandre : sa ferveur est perceptible tout au long du
roman, jusqu’au dernier instant. Le moment où il revoit enfin son souverain fut
particulièrement poignant pour moi : j’ai eu le sentiment d’un immense
gâchis, de toute une vie qui perd sa raison d’être. Dryptéis, quant à elle,
refuse au contraire la vie qu’on veut à nouveau lui imposer en revenant la
chercher dans sa retraite. Ce n’est que petit à petit qu’elle acceptera de
revenir à l’Empire, qui a gâché son existence, pour enfin réussir à le fuir et
accomplir sa destinée. Par le biais de ces deux personnages, Laurent Gaudé
exploite de façon très intéressante le thème de la confrontation entre la
collectivité et l’individu : comment être soi-même lorsqu’on est pris dans
le pouvoir de l’Empire ? Quelle attitude adopter face à celui-ci : le
dévouement, la fuite ou une alternative d’acceptation pour mieux s’en détacher ?
Enfin, ce qui m’a séduite dès les premières lignes, c’est
bien sûr le style très travaillé et imposant de Laurent Gaudé : l’éditeur
dit « au souffle épique », d’autres diraient « lourd » ou « ampoulé ».
Quant à moi, j’ai trouvé cette écriture tout à fait adaptée à l’intrigue et au
cadre historique : puisqu’il s’agit d’un cortège funèbre impérial, la
solennité et le faste sont de mise.
[Laurent Gaudé, Pour seul cortège, Arles, Actes Sud, 2012]
Bien que je n’aime pas cet exercice, il me faut donner une
note à ce livre dans le cadre des Matchs de la rentrée littéraire de PriceMinister :
ce sera un 19/20 (car parfait, à un
détail près : la fin qui, si elle n’entache pas le souvenir que je
garderai de ce roman, en faisait trop à mon goût).
Jamais lu l'auteur. Pas sûr que le style passe...
RépondreSupprimerTu n'aimes pas ce type de style ? Il ne se retrouve pas dans tous ses romans d'après ce que j'ai pu lire, un autre te plaira peut-être plus.
SupprimerBon, nos avis diffèrent car ma note serait proche de 12/20 comme tu le sais peut-être. Très clairement ce livre pâtit de la comparaisons avec les livres précédents de Gaudé que j'ai aimé (voire adoré). Et c'est vrai que depuis Ouragan, il n'arrive plus à m'embarquer (même si j'admire toujours sa prose).
RépondreSupprimerJe m'en doute, après avoir lu ton avis sur ton blog. J'ai lu d'autres avis semblables de la part de fans : je pense que ne pas avoir lu d'autres livres de lui et donc ne pas savoir qu'il est capable de beaucoup mieux a joué dans mon appréciation.
Supprimeravec une telle note, tu éveilles ma curiosité! Bizarre, je n'ai pas encore reçu le livre que j'ai choisi chez Priceminister...
RépondreSupprimerTant mieux ! Le livre ne fait pas vraiment l'unanimité, mais il m'a beaucoup plu.
SupprimerTu leur as envoyé un mail pour le signaler ? Ca commence à faire vraiment long, même si je connais une autre blogueuse qui ne l'a reçu que cette semaine...
Toujours pas lu... mais je l'ai acheté !
RépondreSupprimerC'est un bon début. ;) Ca ne serait pas mon cas sans l'opération PM !
Supprimerje l'ai lu et mis une chronique sur mon blog.J'aime Gaudé!Peut etre pas son meilleur mais quel style!
RépondreSupprimerJe vais aller lire cette critique alors. :)
SupprimerChacun ses gouts. Je mettrai une note bien inférieure à la tienne. Je me suis ennuyé avec ce roman heureusement assez court.
RépondreSupprimerJe n'ai pas apprécié ces interlocuteurs qui interviennent sans arrêt.
Bonne soirée.
J'ai cru comprendre que ce roman était en effet très loin de faire l'unanimité, notamment chez les fans... Mais comme tu le dis, chacun ses goûts. Je me suis perdue au début parmi tous les interlocuteurs, mais ça ne m'a pas dérangé plus que cela.
SupprimerBonne soirée, merci pour ton passage ici.
on a mis la même note !
RépondreSupprimerj'aime bien ce thème de la confrontation entre individualité et collectivité que tu soulignes, c'est vrai qu'il est très présent .
C'est inattendu ces avis si divers, notamment parmi les "fans" (dont je suis !) car même si le style n'est pas tout à fait le même dans chacun de ses romans, il a une signature stylistique bien à lui, malgré tout. Et là, comme dans la nuit Mozambique (et parait-il le roi Tsongor) le style sied parfaitement au récit.
Le soleil des Scorta, superbe, est un peu plus aisé à lire, le style est moins poussé mais tout aussi beau...je l'ai si tu veux.
Oui ! Nous nous rejoignons tout à fait sur ce roman, notamment dans la note attribuée. De quoi le faire un peu remonter dans le classement de PriceMinister. :)
SupprimerCe que tu me dis de Gaudé et de son style me ravit! Ca m'encourage à continuer à le lire et à découvrir ses romans précédents. Merci beaucoup pour Le soleil des Scorta, mais il a rejoint ma PAL en septembre et y attend bien sagement : je ne sais pas encore quand il en sortira, mais je sais qu'il est là et que je pourrai retrouver Gaudé un jour ou l'autre.
Merci pour le lien sur ton article, ainsi que celui vers la musique !