Lettres à un jeune poète
Rainer Maria Rilke
J’ai découvert ces lettres il y a quelques années, au
meilleur moment possible pour cette lecture : en partie pour cette raison,
elle m’a profondément marquée. Le jeune Franz Kappus y fait part de ses
premières productions poétiques et de ses doutes vis-à-vis de cet art à Rainer
Maria Rilke. Ce dernier, comme Hermann Hesse (cf. la troisième lettre
ci-dessous), estime ne pas pouvoir donner un tel jugement à son admirateur,
mais lui prodigue néanmoins quelques conseils à la fois sur l’écriture et sur
la vie en général : il est question dans ces lettres d’enfance, d’amour,
de la nature et de la foi, notamment, autant de thèmes dans lesquels chacun
peut se retrouver. C’est pour cette raison que ces lettres restent si actuelles
et si précieuses, bien au-delà du moment de leur rédaction, entre 1903 et 1908.
L’idée que j’ai personnellement retenue de ces lettres
depuis ma première lecture est celle de la solitude du poète, magnifiquement
exprimée dans ce passage :
Seule est nécessaire la solitude : une grande solitude intérieure. Rentrer en soi-même et, des heures durant, ne rencontrer personne – voilà ce à quoi on doit pouvoir parvenir. Être solitaire comme, enfant, on a été solitaire quand les adultes allaient et venaient, pris dans l’entrelac de choses qui leur paraissaient importantes et sérieuses parce que les grandes personnes avaient l’air si affairées et qu’on ne comprenait rien à leurs affaires. [Lettre VI, pp. 35-36]
[Rainer Maria Rilke, Lettres
à une jeune poète, trad. de l’allemand par Josette Calas et Fanette
Lepetit, Paris, Mille et une nuits, 1997.]
*
Lettre à un jeune artiste
Hermann Hesse
Après les Lettres à un
jeune poète de Rilke, j'ai eu envie de lire cette Lettre à un jeune artiste de Hesse : ce n'est pas le destinataire
qui a publié le texte cette fois, mais le destinateur lorsqu'il s'est rendu
compte qu'il avait presque écrit une dissertation.
Dans cette lettre, Hesse répond à la sensation d'avoir une
mission, exprimée par son interlocuteur : c'est le cas de tous les hommes,
selon ce poète. Chacun se doit de devenir lui-même, en résistant à la tentation
des modèles idéaux. Il pose bien sûr des limites à cette mission, en raison de
la société humaine, et prend pour cela l'exemple de la figure de l'artiste :
celui-ci ne doit pas dédaigner les enseignements sous prétexte de préserver son
individualité. Ceux-ci peuvent au contraire l'enrichir.
Bien qu'elle ne donne pas de « recette-miracle »,
la lettre d'Hesse reste selon moi très actuelle et réaffirme une vérité qu'on
tend à étouffer, en 1949 comme aujourd'hui encore.
[Hermann Hesse, Lettre
à un jeune artiste, trad. de l’allemand par Edmond Beaujon, Paris, Mille et
une nuits, 1994.]
*
Le Jeune Poète. Lettre à maints destinataires
Hermann Hesse
Cette lettre diffère des deux précédentes et de la suivante
par son caractère fictif : elle n’est en effet pas adressée à quelqu’un en
particulier, mais à plusieurs jeunes poètes sollicitant son avis d’aîné et
d’écrivain sur leur propre production. Hesse répond à son interlocuteur
hypothétique qu’il ne peut juger de son avenir dans le domaine littéraire à
partir de ses premières œuvres. Il cite pour justifier ce point de vue les
premiers textes de plusieurs grands auteurs, comme Goethe, qui ne laissaient
guère présager d’un tel talent par la suite, ou ceux d’écrivains géniaux à
leurs débuts avant de cesser d’écrire très rapidement. Il adopte un ton à la fois
bienveillant pour s’adresser à son interlocuteur et mordant pour évoquer
certains apprentis poètes moins délicats que celui qu’il imagine. Il conclut
cette missive par quelques paroles amicales, qui m’ont rappelé l’idée
principale de la Lettre à une jeune
artiste : le plus important n’est pas de devenir un grand poète, mais
avant tout un « cœur pur », celui qu’on est. Tant que l’écriture est
bénéfique à l’écrivant, qu’il continue donc à écrire, mais si elle l’éloigne de
la vie, qu’il s’en débarrasse immédiatement ! J’ai apprécié cette vision
de l’écriture réaliste et sensée, loin de toute idéalisation excessive de cet
acte.
[Hermann Hesse, Le
Jeune poète. Lettre à maints destinataires, dans Une bibliothèque idéale, trad. de l’allemand par Nicolas Waquet,
Paris, Rivages poche, coll. Petite bibliothèque, 2012.]
*
Lettre sur le pouvoir d’écrire
Claude-Edmonde Magny
C’est un article d’Emeraude qui a attiré mon attention sur
cette lettre que j’ai ensuite eu la chance de trouver rapidement lors d’une de
mes flâneries à la librairie. Elle m’a ramenée des années en arrière, au temps
de ma lecture des Lettres à un jeune
poète, et a été une lecture tout aussi forte, de celles que je n’oublierai
pas. Pour cette raison, au moins en partie, il m’est difficile d’en parler
comme Emeraude et Dominique ont su le faire ; je vous renvoie donc à leurs
articles ou plutôt directement à cette lettre de Claude-Edmonde Magny que tous
ceux qui choisissent d’écrire (blogueurs y compris donc) et tout amateur de
littérature devrait (re)lire selon moi.
À défaut de me montrer digne des préceptes de cet écrit, je
vais tenter de dire pourquoi il doit être lu. À travers un petit parcours
littéraire personnel, Claude-Edmonde Magny retrace sa conception de l’écriture
particulièrement exigeante et dangereuse également. Le terme
« pouvoir » du titre s’entend ici dans deux sens : à la fois le
pouvoir, la magie de l’écrit – qu’il faut apprendre à maîtriser et surtout ne
pas prendre à la légère – et le pouvoir, le comment de l’écriture. Tout en
idéalisant l’acte d’écriture, l’épistolière n’en fait pas un don divin et
inaccessible, mais explicite au contraire quelle est selon elle la condition
pour parvenir à cet art et y être bon. Cette idée est résumée dans la formule
reprise sur le bandeau promotionnel et dans la préface de Jorge Semprún à qui
était adressée cette lettre : « Nul ne peut écrire s’il n’a le cœur
pur, s’il n’est assez dépris de soi. » Ce qui peut paraître simple est en
réalité quelque chose de très difficile et prend vraiment tout son sens au
terme de ce texte. Celui-ci doit être lu selon moi, car au-delà des conseils
d’écriture, il replace la littérature à un certain niveau et la « débanalise » ;
il véhicule toute une conception forte de la littérature.
[Claude-Edmonde Magny, Lettre
sur le pouvoir d’écrire, Paris, Climats (Flammarion), 2012.]
* Défi 100 pages *
* Cercle de lecture de Tête de Litote : littérature épistolaire *
Pfff, quatre livres (OK, courts) mais il faut les noter, quoi! Le 4ème était chez Emeraude (mais pas à la bibli, en tout cas d'autres titres de l'auteur le sont), pour le Hesse, je l'ai vu sur un blog, donc il est déjà dans ma PAL mentale (comme dit Chinouk, je crois? ou Kroustik?)
RépondreSupprimerNote : fouiner dans la collection Mille et une nuits, quoi... Merci! ^_^
Chacune son tour :D Tu fais des billets "Petite philo du voyage" groupés, moi ce sont des billets épistolaires.
SupprimerC'est bien chez Emeraude que j'ai repéré le 4e et je me joins à elle pour t'encourager à le retenir dans ta LAL mentale (je ne sais plus qui avait dit ça...) Le premier Hesse est épuisé chez Mille et une nuits, par contre : je l'ai trouvé d'occasion ; mais j'ai laissé un lien chez Emeraude : tu peux y trouver le livre complet en format électronique gratuitement. Sinon, fouiner chez Mille et une nuits est une excellente idée :D
Hum, cet article est un délice. Flottant pourtant toujours avec bonheur en poésie, je ne connaissais pas cette " lettre à un jeune artiste ".
RépondreSupprimer( et que oui pour " Mille et une nuits ", j'en ai quelques exemplaires très usagés...:D )
J'en suis ravie, merci :D La Lettre à un jeune artiste semble en effet peu connue, mais mériterait de l'être plus. :)
SupprimerSi je m'écoutais , je me laisserai tenter tellement ton billet est convaincant. D'autant que lors d'un échange récent, on m'a offert "Lettres à un jeune poète" de Rilke, et en bilingue!...
RépondreSupprimerMerci pour ce partage!
Ecoute-moi, aie confiance... :D J'espère que les Lettres à un jeune poète te parleront, elles me sont très précieuses : on pourrait dire qu'elles sont pour moi ce que le Petit prince est pour toi en quelque sorte.
SupprimerJe comprends pourquoi tu as mis ces titres en parallèle, et ton billet est très intéressant. Tu me donnes bien envie de lire les autres titres, alors que le Edmonde-Magny résonne encore beaucoup en moi...
RépondreSupprimerMerci ! J'espère que ces conseils seront bons et que tu ne seras pas déçue après l'exceptionnel texte d'Edmonde-Magny (que je ne te remercierai jamais assez de m'avoir fait découvrir).
SupprimerQuel succès avec cet article ! Mais il parle aux lecteurs que nous sommes, c'est obligé. Et puis que du bon !
RépondreSupprimerPremier : lu et relu
Second : à lire ce mois-ci ou au plus tard en janvier
Troisième : à relire
Quatrième : à essayer d'attraper à la biblio (Emeraude m'avait déjà tentée et puis j'ai le sentiment que la conception de l'écriture de l'auteur correspond à la mienne. Vos deux billets m'ont fait penser à Charles Juliet, son exigence, à Beckett aussi que je connais moins).
Exactement, que du bon. ;) J'espère que tu attraperas le 4e à la biblio et que le deuxième te plaira aussi. Je n'ose plus trop m'avancer sur ce terrain, mais je crois que la conception de l'écriture de Claude-Edmonde Magny devrait te parler.
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