Badinage et libertinage - Comte de Mirabeau : L'Education de Laure et Ma Conversion ou le libertin de qualité



Après Duclos, je retourne à la fin du siècle avec le comte de Mirabeau. C’est au château de Vincennes où il a été enfermé pendant une partie de sa vie, tout comme le marquis de Sade, qu’il rédige son roman le plus célèbre, Ma Conversion ou le libertin de qualité, dans la lignée du roman-liste de Duclos. Moins connu, Le Rideau levé ou L’Education de Laure est tout aussi passionnant, sinon plus selon moi.

Ces deux récits s’ouvrent par une lettre dans laquelle est insérée le roman, selon le procédé traditionnel du « manuscrit trouvé » (bien que Mirabeau n’insiste guère plus et ne se présente pas en tant que rédacteur dans une préface). Dans L’éducation de Laure, c’est une jeune femme qui envoie à son amant la copie d’un petit volume trouvé dans les affaires de sa sœur, nonne malheureuse : ce texte s’ouvre lui-même par une adresse épistolaire à cette dernière et par l’annonce du récit à suivre comme celui de la vie/l’apprentissage de la sexualité d’une autre jeune femme, Laure. Ma Conversion s’ouvre quant à lui sur une missive à Satan par le narrateur et héros des Mémoires qui suivent, afin de rendre compte au seigneur de l’enfer de ce qui se déroule sur terre et des déconvenues subies par ses démons face à des femmes de plus en plus rusées et rouées.
[Cercle de lecture d’octobre : la littérature épistolaire]


Comte de Mirabeau
L’Education de Laure

D’après l’introduction de Vincent Jolivet, Mirabeau fait œuvre originale en renouant avec deux traditions libertines dans ce texte : celle des dialogues érotiques, en tant que moyen d’instruction sexuelle, et celle des récits pornographiques, dans lesquels un narrateur narre son apprentissage des plaisirs de l’amour et ses diverses conquêtes. L’éducation dispensée à Laure dans ce texte par son père* est donc autant morale et philosophique que sexuelle et anatomique. Elle débute plus tôt que ne l’aurait voulu l’instructeur grâce à une scène de voyeurisme et à un rideau adroitement levé par l’héroïne. Soucieux du bien de celle-ci, son père lui donnera une première instruction relative à ce qu’elle a pu voir, puis la contraindra à l’abstinence, par le biais d’une ceinture de chasteté, et à la patience jusqu’à ce qu’elle soit en âge d’être initiée de façon pratique. Entretemps, il ne néglige pas sa formation intellectuelle et mondaine : tout bon libertin ne doit pas seulement avoir des mœurs très libres, mais également posséder l’esprit critique cher aux Lumières afin d’être tout à fait libre et maître de lui-même.

Comme souvent dans les romans libertins, la figure maternelle est absente : la mère de Laure meurt en effet dès le début du récit, laissant la place à une autre figure féminine, une gouvernante, Lucette. Ces trois personnages formeront l’utopie imaginée par Mirabeau : il n’est en effet question du monde extérieur que tardivement, une fois l’éducation de Laure accomplie. Avant l’intervention de deux nouveaux protagonistes, tout se passe en monde clos sur lui-même, au sein de la demeure paternelle. Nulle cruauté n’intervient, et si la violence apparaît parfois, elle est rapidement pardonnée et transformée en consentement. Est dressée une éducation « idéale » et parfaitement assimilée par l’héroïne.

Cet univers s’ouvre ensuite à deux nouveaux protagonistes, suite à la perte d’un des trois premiers : l’insatiable (la nymphomane, aujourd’hui) Rose et son charmant frère, qui plaît beaucoup à Laure. La première racontera elle-même l’histoire de son apprentissage sexuel dans un récit enchâssé. Tous deux achèveront l’éducation sentimentale de Laure, en lui apprenant à distinguer amour et désir, et feront la démonstration des dangers du libertinage. Cette incursion extérieure prouve donc à Laure tous les bienfaits reçus de son père et la ramène donc dans l’esprit de l’utopie initiale.

Ce roman de la fin du 18e siècle recèle donc un grand optimisme et tranche avec d’autres productions du genre libertin beaucoup plus pessimistes et/ou cruelles. Pour cette raison, le récit est très plaisant à lire, alternant avec justesse passages philosophiques légers et scènes pornographiques.

* Mirabeau n’a pas osé l’inceste jusqu’au bout comme d’autres : il est mentionné très tôt qu’il s’agit de son père adoptif. Cela n’en reste pas moins de la pédophilie (tout à fait consentante et souhaitée par la jeune Laure, et avec un grand respect de la part de son père), donc je déconseille ce roman à ceux que cet aspect pourrait déranger.


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  • La Philosophie dans le boudoir du marquis de Sade  
  • L’Ecole des filles  
  • Thérèse philosophe

 
Ma Conversion ou Le Libertin de qualité

Dans ce roman-ci, Mirabeau reprend le procédé du roman-liste exploité par Duclos dans une partie des Confessions du comte de ***. Si je l’avais trouvé intéressant dans ce dernier texte, il n’en a pas été de même cette fois : le procédé est utilisé tout au long de la centaine de pages que compte le récit et, très sincèrement, c’est long et fastidieux. Certains épisodes sont heureusement plus développés que d’autres et suscitent davantage d’intérêt par l’attention plus continue qu’on peut y apporter, mais la plupart, dont les premiers, sont assez rapidement passés en revue. Cette rapidité a malheureusement nui à ma lecture : n’ayant pas le temps de m’attacher à l’un ou l’autre personnage féminin séduit par le narrateur, je m’ennuyais et me lassais de ces conquêtes aussi rapidement que le libertin signant là ses Mémoires.

L’intérêt que peuvent néanmoins susciter ces conquêtes successives réside dans le parcours social et géographique accompli : le héros passe en effet d’une catégorie sociale à une autre, du plus bas au plus haut, et voyage à travers la France, ainsi qu’en Italie et en Espagne. Cela donne lieu à quelques préjugés nationaux ou sociaux, communs à ce type de romans. Là où Mirabeau se distingue de Duclos, notamment, c’est dans la motivation de ce libertinage : ce n’est plus le plaisir, ni la réputation mondaine qui pousse le narrateur d’une femme à l’autre, mais l’argent. Il en est sans cesse question, pour se plaindre d’en manquer généralement. C’est la raison pour laquelle, las de se prostituer et de parcourir une telle carrière, notre héros voudra finalement « faire une fin » et… finira sur une chute relevant du registre comique. Si elle n’est guère surprenante, elle est très bien amenée et participe à la parodie générale du genre que semble constituer ce roman.


Si vous aimez Ma conversion ou le libertin de qualité, vous aimerez peut-être aussi :

  • Les Confessions du comte de *** de Charles Duclos  
  • Margot la ravaudeuse  
  • Dom Bougre ou le portier des Chartreux

6 commentaires:

  1. Mirabeau n'est pas dans mon volume, et le premier m'intéresserait pour voir ce que ce personnage a pu écrire. Je l'ai justement ajouté à ma LAL il y a quelques temps, mais comme celle-ci est monstrueuse...
    Insatiable est quand même nettement plus joli que nymphomane, je trouve. :-)

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    1. Je trouve aussi pour insatiable, mais il n'a pas la connotation pathologique de "nymphomane" : le père de Laure réprouve vraiment son comportement, et elle sert de contrexemple pour Laure.
      J'espère que ce texte survivra au séjour dans ta monstrueuse LAL et rejoindra ta liste de lecture un jour, il est très intéressant. :)

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  2. Je ne connais pas Mirabeau sinon de nom bien entendu. Je ne crois pas avoir déjà lu quelque chose de lui. J'ai encore beaucoup à apprendre en matière de bouquins...
    Merci pour ta participation. Tu n'es pas en retard; ce sont les autres qui sont en avance. Et tant mieux pour moi car il m'aurait été difficile de noter tous ces liens aujourd'hui.
    Bon weekend.

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    1. C'est un auteur qui mérite d'être découvert d'après moi, au-delà de ses textes politiques.
      Merci pour toute l'organisation de ce challenge, en tout cas !

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