Je poursuis mon challenge Badinage et libertinage en compagnie d’un nouvel auteur :
Charles Duclos. Ses deux premiers romans, Histoire
de Madame de Luz (1741) et Les
Confessions du comte de *** (1742) sont proposés comme un diptyque dans la
collection Les grands classiques de la
littérature libertine de Garnier : tandis que le premier se place du
point de vue d’une vertueuse victime du libertinage de quelques roués, le
second retrace le parcours complet d’un libertin dans la société mondaine de
l’époque.
[Mon article est assez analytique et spoile plus que je ne l’avais
prévu… Si vous ne souhaitez pas en savoir trop, ne le lisez qu’en diagonale]
Charles Pinot Duclos
Histoire de Madame de Luz
Anecdote du règne d’Henri IV
« Il me semble que la vertu d’une femme soit dans ce
monde un être étrange contre lequel tout conspire » [p. 18] : ainsi
pourrait-on résumer ce roman, tout entier annoncé dans sa première phrase. Tout
au long du texte, la belle et vertueuse Madame de Luz va être en proie aux
avances de libertins et d’hommes plus ou moins bien intentionnés. Sa résistance
sera à la fois mise à l’épreuve par l’amour qu’elle-même ressent pour l’un de
ses soupirants et par la violence ou le chantage d’autres. Puisqu’il s’agit
d’un roman de la vertu malmenée, vous vous doutez certainement de l’identité de
ceux qui sauront la faire fléchir… Par cet aspect, cette histoire m’a rappelé
les plus tardives Infortunes de la vertu
du marquis de Sade : la même répétition des épisodes et le même
acharnement du sort constituent la trame du récit, exprimée dans un style très
épuré, sans scène érotique explicite. Malheureusement, ce parallèle a eu les
mêmes effets sur moi : ces répétitions ont causé mon ennui croissant,
malgré une plus grande empathie pour Madame de Luz que pour Justine. Toutes
deux sont vertueuses et s’en tiennent à cet état d’esprit, malgré les épreuves
traversées : il devient difficile de ne pas avoir envie de les pousser au
vice afin qu’elles goûtent un peu de bonheur en ce monde où « la vertu
[dépend] si fort des circonstances » [p. 75].
Comme je l’ai brièvement mentionné ci-dessus, Madame de Luz
doit également lutter contre son amour pour un jeune homme, le marquis de
Saint-Géran : celui-ci aime sincèrement l’héroïne et sait cet amour
partagé. Malgré ses promesses, cela le rend de plus en plus pressant au fil des
jours. Telle la princesse de Clèves, Madame de Luz résiste et cherche à fuir cet
amant si difficile à contenir. Moins naïve que la précédente et plus au fait
des usages du monde, elle déploie de meilleures stratégies selon moi et a pour
cette raison davantage suscité mon intérêt. Tandis que Madame de La Fayette
développait davantage la psychologie de son personnage, Charles Duclos se situe
plutôt dans l’action romanesque, bien qu’il laisse ici et là quelques
réflexions sur la vertu. Malgré ces différences, je ne place pas moins ce roman
dans la lignée des romans historiques de l’époque, notamment pour son
dénouement : comme l’indique le sous-titre, l’action se déroule au temps
d’Henri IV, période sublimée et perçue comme celle de la galanterie par les
hommes des 17e et 18e siècles.
En conclusion, un roman plaisant, mais guère plus original
que les précédents de la tradition.
Si vous aimez l’Histoire de Madame de Luz, vous aimerez
peut-être aussi :
- La princesse de Clèves de Mme de la Fayette
- Les infortunes de la vertu du marquis de Sade
Les Confessions du comte de ***
Les Confessions du
comte de *** est certainement
l’œuvre la plus connue de Charles Duclos et l’une de celles à laquelle pense tout
connaisseur de la littérature libertine du 18e siècle. Comme
plusieurs autres lecteurs, dont Marie (je vous conseille d’ailleurs la lecture
de son article, très complet), j’ai pensé aux Egarements du cœur et de l’esprit de Crébillon fils dès les
premières lignes : il s’agit en effet à nouveau d’un roman-mémoires, narré
par un libertin accompli qui revient sur ses premières années dans le monde. Pour
ce faire, Duclos a choisi le médium de la lettre à un plus jeune, surpris de
voir son aîné se retirer du monde. Apparaît donc déjà une dimension éducative,
qui reviendra à deux reprises dans le récit : le comte de *** entreprend
de raconter son histoire afin de préserver son destinataire que lui-même a
commise (ou du moins afin d’essayer).
Si le parallèle avec l’œuvre de Crébillon fils apparaît
rapidement, les différences interviennent assez tôt également : le comte
est en effet moins maladroit que son prédécesseur, Meilcour, son initiatrice
moins subtile que la prudente Madame de Lursay, et la conquête achevée en peu
de pages. Commence ensuite alors l’initiation libertine du jeune héros, volant
de femme en femme, sous la forme d’un roman-liste. Par le biais de ses
aventures galantes, il explore différentes strates de la société (mais évite
encore le peuple proprement dit et reste dans les sphères fortunées), ainsi que
différents pays. Cela lui donne l’occasion de catégoriser les femmes en
fonction de leur origine sociale, nationale (on voit là intervenir la théorie
de l’influence du climat sur les tempéraments) et en fonction de leur attitude
(les provinciales, les précieuses, les fausses prudes, les coquettes, etc.) Au
terme de la première partie, le comte de *** est donc un petit-maître accompli.
Bien que je n’apprécie que peu les romans-listes, où les aventures se succèdent
sans véritable lien entre elles et où l’action romanesque semble primer sur l’aspect
psychologique si bien développé par Crébillon (dans ce roman-ci de Duclos et
dans celui de Mirabeau cité ci-dessous en tout cas), j’ai été intéressée par
ces diverses conquêtes du héros de Duclos : j’ai eu le sentiment d’assister
à une démonstration du discours que Versac aurait pu tenir au jeune Meilcour (ce
dialogue sur les femmes est malheureusement absent, du fait de l’inachèvement
du roman de Crébillon, ce que je ne cesse de regretter).
La seconde partie est assez différente de la première et
propose un autre type d’enseignement : celui d’un amour pur, alliant à la
fois la tendre amitié et le sentiment, rejetant à la fois l’insensibilité de l’amour
mondain et la violence de l’amour-passion. Le rythme du récit se ralentit et
les personnages acquièrent plus de profondeur que dans la première partie, sans
doute pour accentuer le caractère vide de la vie menée dans la première partie.
Cette éducation grâce à Mme de Selve ne se fait pas sans mal et quelques
entorses, qui conserve un peu de piquant à ce final.
Dans l’ensemble, j’ai apprécié découvrir dans ce roman le
parcours complet d’un libertin, tel que Crébillon l’a esquissé avec beaucoup de
réussite sans le terminer, mais n’en préfère pas moins ce dernier : le
style de Duclos est plus sec, son ton plus généralisant et attaché aux actions
qu’à la description psychologique et fine des individus. Ce fut donc une lecture
plus intéressante que vraiment plaisante pour moi.
Si vous aimez Les Confessions du comte de ***, vous
aimerez peut-être aussi :
- Les Égarements du cœur et de l’esprit de Crébillon fils
- Ma conversion ou le libertin de qualité de Mirabeau
Ton billet aussi est très complet! Le tien est plus positif car tu as eu une approche différente, mais nos ressentis sont assez proches. On se complète plutôt bien. :-)
RépondreSupprimerTu me donnerais presque envie le lire l'Histoire de Madame de Luz, par curiosité, mais je ressors surtout de Duclos avec l'envie de lire les oeuvres de Crébillon fils que je ne connais pas encore!
J'aurais plutôt tendance à te conseiller Crébillon fils que l'Histoire de Madame de Luz : elle n'est pas vraiment exceptionnelle d'après moi...
SupprimerC'est vrai que nos deux approches se complètent assez bien : c'est pour ça que j'ai renvoyé à ton article. :)