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Inconnu |
Après les contes du Marquis de Sade,
j’ai choisi de présenter un de ses romans : La Philosophie dans le boudoir, mon œuvre préférée actuellement
parmi l’importante production de cet auteur. Selon Jean Deprun, ce roman
dialogué a été tout d’abord été composé en prison sous l’Ancien Régime, puis
repris en 1793 après une période de liberté (il retourne en prison en 1794 pour
« modérantisme », malgré son engagement politique lors de la
Révolution) et retouché une dernière fois en 1795, année où il est publié
anonymement (tandis qu’Aline et Valcour est publié sous son nom la même année).
[Source : Éric Bordas commente La Philosophie dans le boudoir du
marquis de Sade, Paris, Gallimard, coll. Foliothèque, 2010.]
Marquis
de Sade
La
Philosophie dans le boudoir
Ou
Les Instituteurs immoraux
La
Philosophie dans le boudoir se présente comme un texte théâtral, sous la
forme de sept dialogues retraçant l’éducation de la jeune Eugénie. Cette
initiation à la fois sexuelle et morale se fait grâce à deux libertins :
Mme de Saint-Ange et Dolmancé, avec l’aide de quelques auxiliaires masculins :
le frère de la libertine, son jardinier et un de ses valets. En alternant
théorie et pratique, ils enseigneront à leur docile élève les plaisirs de la
chair : comment les recevoir, en donner, se protéger des effets indésirables
(maladies et grossesses), etc. Dans la préface de l’édition de Folio classique,
Yvon Belaval attire l’attention du lecteur sur le caractère très textuel des
scènes érotiques chez le marquis de Sade : il s’agit selon lui davantage
de mots que d’actions, on entend plus qu’on ne voit et les personnages
pourraient tout aussi bien ne rien faire. Il s’agit d’un plaisir littéraire
plutôt que charnel, de papier plutôt que de chair. Si je n’ai personnellement
pas toujours été d’accord avec ce point de vue lors de ma lecture, il me semble
intéressant malgré tout de le prendre en compte.
Au-delà de ces scènes, ce qui occupe
une place non moins importante, c’est l’éducation morale d’Eugénie, dans le but
d’en faire une citoyenne libre et responsable (c’est là que le contexte
historique et le moment de la rédaction posent leur empreinte explicitement sur
le texte). Tout au long des discussions et plus encore dans l’essai Français, encore un effort si vous voulez
être républicains… inséré dans le cinquième dialogue, Dolmancé développe
une philosophie qu’il dit républicaine et qui m’a semblé particulièrement
rousseauiste lors de ma dernière lecture : il prône en effet un retour à
la nature, mais Sade la perçoit de façon très différente que son prédécesseur. Tandis
que le premier la disait bonne, le second en fait le lieu de la loi du plus
fort et de la cruauté : il s’ensuit toute une série de préceptes, comme la
nécessité de la fausseté dans la société et la supériorité du vice sur la vertu,
notamment. La liberté est également extrêmement importante dans ces passages :
il est nécessaire de se libérer des carcans qui enferment l’Homme (d’où le
retour à l’état de nature), c’est-à-dire la religion, les lois morales et
toutes les lois en général. Tout en sachant qu’un système politique est
nécessaire, Sade prône donc une grande liberté pour chaque individu, qu’il soit
homme ou femme.
Ce « résumé » est tout à fait
incomplet (et malheureusement certainement réducteur), je ne peux donc que vous
inviter à lire cette œuvre si vous souhaitez en savoir plus sur la pensée du
Marquis de Sade et connaître le très bon dénouement de ce récit : il
constitue selon moi l’apothéose de l’enseignement dispensé par les libertins à
Eugénie.
*
Si vous souhaitez découvrir
le « Divin Marquis »…
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Biberstein |
… Et que vous n’avez pas froid aux yeux, je pense que ce
roman est, avec Justine, le plus
approprié : on y trouve à la fois les scènes érotiques qui ont fait la
réputation du marquis de Sade aujourd’hui et ses idées morales et
philosophiques dans des exposés bien répartis. De plus, contrairement à Justine, la cruauté n’intervient
vraiment qu’en fin du texte, dans « l’apothéose » de cette éducation
d’Eugénie. Les dialogues précédents sont plus réjouissants et s’inscrivent dans
la tradition des romans libertins, dans l’univers des boudoirs comme lieux de
joyeuse débauche consentie.
Si vous êtes hésitants, il est possible de trouver ce texte
libre de droits sur des sites internet comme Wikisource ou de lire les quatre
premiers dialogues dans l’édition Folio 2€.
***
Du même auteur :
ainsi, sade commence là où rousseau finit...
RépondreSupprimerne point omettre l'aspect délibérément grotesque - et comique, donc - de l'ouvrage. un exemple: la taille des phallus des protagonistes, qui augmente au fur et à mesure du récit...
C'est en tout cas l'aspect qui m'avait marqué lors de cette lecture-là. Une autre fois, je remarquerai sans doute un autre, notamment cet aspect parodique et grotesque qu'utilise Sade dans sa reprise des idées d'autres philosophes par exemple.
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