Tandis que beaucoup aiment les premières phrases des romans,
je leur préfère les dernières* : j’aime qu’un auteur me surprenne, que ce
soit par une dernière pirouette de l’intrigue ou, surtout, par une ultime
beauté, une fin comme la pointe d’un joyau. Cette anthologie de Folio 2€ était
donc celle qui me convenait le mieux – d’autant plus que j’apprécie les récits
sombres et les destinées tragiques – et je la recherchais depuis quelques
années quand, grâce à une réédition de cette année, je l’ai trouvée ! Je
n’ai pas tardé à la découvrir et en suis tout à fait ravie.
Ma lecture a en effet merveilleusement bien commencé avec un
extrait des Liaisons dangereuses de
Choderlos de Laclos : le récit du décès de la Présidente par son amie, Mme
de Volanges. Suivent ensuite quatre autres morts après une maladie causée par
un chagrin d’amour : toutes m’ont beaucoup plu et sont très touchantes.
J’ai surtout été agréablement surprise par l’extrait de Madame de * de Louise de Vilmorin : ce n’est pas une auteure
avec qui j’ai eu une bonne première rencontre, mais ce texte-ci me donne envie
de lui laisser une seconde chance. La mort de cette femme est présentée en peu
de mots, mais l’intensité de son attitude la rend très poignante.
La seconde partie, nommée d’après une phrase d’Anna Karénine de Tolstoï : Je serais délivrée de tous et de moi-même,
indique dès son titre la mort mise en scène : le suicide après l’abandon
par l’être aimé. Si la prose de Virgile pour dire la destinée de Didon ne m’a
pas touchée, il n’en a pas été de même avec le célèbre récit de Goethe :
les malheurs du jeune Werther m’ont émue, tant avant qu’après sa mort. J’avais
déjà lu celle de l’héroïne de Tolstoï, mais j’ai apprécié la redécouvrir, dans
toute sa force tragique.
Les suicides peuvent également se faire à deux, comme l’ont
bien sûr fait Roméo et Juliette, mais également Hernani et Doña Sol ou les
amants de Baudelaire. Toutes ces scènes sont superbement évoquée, mais pas
autant que la mort de Belle du Seigneur
de Cohen : je ne connaissais pas du tout celle-là et elle restera
certainement pour moi l’une des plus belles jamais écrites. L’aspect moderne,
qui aurait pu me rebuter, ne vire jamais au morbide et accède au contraire au
sublime, sans tomber dans le pathos grâce à un certain réalisme. Enfin, de la
mort donnée à soi-même au meurtre, il n’y a qu’un pas, qu’a franchi Pierre Jean
Jouve avec son héroïne Paulina.
Dans l’ensemble, bien qu’on puisse regretter l’absence de
textes vraiment contemporains, j’ai apprécié les choix faits par l’anthologiste
et leur répartition harmonieuse. Ce qui m’a frappée et que je retiendrai sans
doute de ce recueil, c’est la majorité des morts féminines : les hommes ne
meurent jamais au terme d’une longue maladie, mais se tuent en même temps que
l’aimée, ou seuls dans le cas des plus faibles. Cela pose pour moi la question
de la perception de la femme et de sa nature amoureuse : est-elle vraiment
considérée comme celle capable de mourir par amour, contrairement aux hommes
plus forts et/ou moins sentimentaux, ou est-ce dû au choix des textes ?
Bref, une très bonne anthologie de Folio 2€ que je relirai
avec plaisir de temps à autre.
* L’inconvénient d’une telle anthologie est alors le
« spoiler », mais cela ne m’a personnellement pas dérangée, puisque
je connaissais la plupart des textes ou leur issue tragique.
[Mourir pour toi.
Quand l’amour tue, Paris, Gallimard, coll. Folio, 2005.]
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