Trois petites anthologies amoureuses


Comme je le disais sur mon article sur le Voyage amoureux, j’aime beaucoup les anthologies, notamment celles de Folio 2€ : ce sont pour moi de petites lectures fragmentées et idéales pour cette raison dans les transports en commun ou pendant les périodes d’étude intensive. La réunion des extraits autour d’un thème commun m’intéresse par les comparaisons qu’elle offre, ainsi que par la première approche d’une œuvre que je n’aurais pas forcément eu envie de lire sans cela. Ce mois-ci, j’ai choisi de relire trois anthologies consacrées à l’amour, depuis la rencontre jusqu’au baiser, en passant par la déclaration.


« Leurs yeux se rencontrèrent… »
Les plus belles premières rencontres de la littérature
(relu le 15 juin 2012)

Cette anthologie, sans doute parce que la plus ancienne, est celle que j’ai le moins appréciée parmi les trois présentées ici. Les textes y sont plus nombreux et offrent donc un panorama plus complet du sujet – la première rencontre, le plus souvent amoureuse –, mais peu m’ont vraiment plu et j’ai regretté le peu de diversité temporelle dans les choix effectués : la majorité des extraits proviennent d’œuvres du 19e ou du 20e siècle.

L’ensemble du recueil se divise en quatre parties inégales, chacune consacrée à un type de rencontre particulier. La première aborde l’insolite, de Dumas à Begnini et Cerami : malheureusement, trop peu sensible à cette esthétique et à ce « burlesque », je n’ai apprécié aucun des textes, que ce soit au niveau stylistique ou de l’intrigue. Le second regroupement, plus conforme à mon goût et à mon état d’esprit du moment, m’a davantage plu : « quand ça commence mal… » J’ignore si cela se termine mieux que cela ne débute, mais je suis à présent curieuse de le savoir. J’ai particulièrement apprécié la qualité stylistique des extraits choisis : il est vrai que Proust, Aragon et Cohen étaient des valeurs sures et incontournables pour cette situation. L’espoir est-il permis malgré ces débuts ratés ? C’est la question posée par la troisième partie, dans laquelle chaque rencontre semble faire naître l’attente d’une suite et l’espérance de celle-ci. Enfin, l’ultime groupe d’extraits est consacré au coup de foudre, à l’amour au premier regard : l’inévitable Roméo et Juliette y est bien entendu présent, ainsi que Le Roman de la rose de Guillaume de Lorris, ce qui m’a agréablement surprise et, avec la Phèdre de Racine, a brisé l’uniformité temporelle déplorée ci-dessus. Ma plus belle surprise a été L’étudiant étranger de Philippe Labro : la scène de la rencontre crée à la fois un effet de mystère autour de la jeune femme et une certaine frustration finale pour le protagoniste masculin comme pour le lecteur. Je lirai probablement la suite de ce texte un jour ou l’autre.

Dans l’ensemble, la plupart des textes sont agréables à lire, bien choisis et bien répartis, malgré les petits bémols relevés ci-dessus.

[« Leurs yeux se rencontrèrent… » Les plus belles premières rencontres de la littérature, Paris, Gallimard, coll. Folio, 2003.]

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« Que je vous aime, que je t’aime ! »
Les plus belles déclarations d’amour
(relu le 15 juin 2012)

Plus concise, cette anthologie est divisée en deux parties seulement, les déclarations à l’être aimé et celles à un tiers lorsque l’amour est caché. Les extraits proviennent cette fois d’œuvres du 16e au 19e siècle (une seule de l’Antiquité et une du 20e), ce qu’on peut considérer comme dommage pour un recueil qui s’annonce sur la quatrième de couverture comme un « manuel de la déclaration d’amour » en quelque sorte :
Avec le Cid et Chimène, Pâris et la belle Hélène, Juliette Drouet et Victor Hugo ou Cyrano et Roxane, apprenez à déclarer votre flamme…
Aussi beaux que soient ces textes, certains n’en ont pas moins mal vieilli au niveau des mentalités et les présenter comme des modèles à suivre n’est pas une si bonne idée d’après moi.

Personnellement, j’ai préféré lire cette anthologie en tant que telle, sans y voir une quelconque visée pédagogique, et ai beaucoup apprécié la plupart des textes présentés. Le premier est la déclaration d’amour de Pâris à Hélène selon Ovide : il fait selon moi partie avec Le Roman de la momie de Théophile Gautier des extraits qui ont assez mal vieillis. Vous apprécieriez, vous, qu’un homme vous dise que vous êtes obligée de l’aimer parce qu’il l’a décidé, secondé par la déesse de l’amour ? Excepté ce détail, il faut avouer que Pâris, sous la plume d’Ovide, ne manque pas d’éloquence et qu’on comprend aisément la faiblesse de son amante. J’ai néanmoins préféré dans cette première partie de l’anthologie les poèmes aux extraits de roman ou de la correspondance de Juliette Drouet et Victor Hugo : la poésie de Verlaine exerce toujours son charme sur moi et celle de Shakespeare ne me laisse guère indifférente non plus.

On revient à la prose et au romanesque dans la seconde partie consacrée aux amours cachés, dont l’extrait de La Princesse de Clèves est tout à fait emblématique : bien que je n’aie pas gardé un souvenir exceptionnel de ce texte, j’ai trouvé la scène choisie – celle où Nemours est caché dans le jardin et regarde la princesse qui se croit seule et pense à l’être aimé – magnifique et très touchante. De même, le chagrin d’Ourika ou de Cyrano de Bergerac est émouvant et transparaît particulièrement bien dans les passages sélectionnés.

Une très belle lecture, d’un amour à l’autre.

[« Que je vous aime, que je t’aime ! » Les plus belles déclarations d’amour, Paris, Gallimard, coll. Folio, 2009.]

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L’art du baiser
Les plus beaux baisers de la littérature
(relu le 11 juin 2012)

Cette anthologie est l’une des plus courtes parmi celles de Folio 2€ et l’une de mes préférées par son sujet : le baiser. Les textes y sont soigneusement choisis parmi la littérature classique (l’incontournable Roméo et Juliette, Cyrano de Bergerac, un texte de Balzac, le célèbre poème de Louise Labé, entre autres), mais également contemporaine (David Foenkinos, Philippe Forest, Philippe Sollers, Philippe Delerm), ce qui constitue selon moi une amélioration appréciable par rapport au volume de la déclaration amoureuse.

Le recueil s’ouvre avec un poème de Catulle, qui place immédiatement le lecteur dans l’ambiance générale et annonce les multiples baisers à suivre. Avant ceux-ci, quelques remarques et conseils sont donnés par Ovide dans son Art d’aimer : cela m’amuse toujours de comparer les us et coutumes passées aux nôtres qui n’ont pas toujours changé tant que cela. Plus proche de nous, c’est Philippe Sollers qui le suit, dans un texte qui m’a surprise par son alternance entre un style assez soutenu et un autre presque familier, comme pour exprimer le sublime du « vrai » baiser à côté de la vulgarité des autres « faux ». L’extrait que j’ai préféré dans cette section est celui du baiser selon Maupassant, ou plus exactement selon une vieille tante dans une lettre à sa nièce : ce texte est encore très actuel et très plaisant à lire, comme le montre cet extrait de l’extrait.
Le baiser n’est qu’une préface, pourtant. Mais une préface charmante, plus délicieuse que l’œuvre elle-même ; une préface qu’on relit sans cesse, tandis qu’on ne peut pas toujours… relire le livre. Oui, la rencontre des bouches est la plus parfaite, la plus divine sensation qui soit donnée aux humains, la dernière, la suprême limite du bonheur. C’est dans le baiser, dans le seul baiser qu’on croit parfois sentir cette impossible union des âmes que nous poursuivons, cette confusion des cœurs défaillants. (p. 30-31)
Deux autres textes sont également présents, l’un de Queneau (qui joue toujours aussi habilement des sonorités, sans me séduire pour autant) et l’autre de Philippe Delerm (une très belle description interprétative d’une photographie d’un couple qui s’embrasse), mais ils n’ont selon moi par leur place dans cette section de « l’avant-baiser », sinon pour harmoniser le nombre de textes dans chaque partie, ce dont je ne me serais guère formalisée si ça n’avait pas été le cas. C’est mon unique bémol quant à l’agencement même de cette anthologie, dont les différentes sections sont judicieusement choisies.

La seconde regroupe des textes qui présentent le baiser comme « invitation à l’amour » : s’y retrouvent Cyrano de Bergerac – dont la scène choisie m’a convaincue de lire enfin cette pièce dans son intégralité –, la religion des baisers de Roméo à Juliette dont je ne me lasse décidément pas, l’imprévu du baiser de Nathalie à Markus chez Foenkinos, La femme de trente ans de Balzac (j’avais oublié à quel point cet auteur peut être lyrique et tout à fait enchanteur) et, surtout, un extrait du Nouvel amour de Philippe Forest. Ce dernier texte est ma plus belle découverte de cette anthologie : bien que la scène du baiser même soit un peu décevante, la partie qui la précède est magnifiquement décrite. Enfin, la dernière section, celle du baiser comme communion des corps, regroupe principalement des textes poétiques, dont un de Neruda, un poète que j’affectionne particulièrement. Les deux textes en prose sont très évocateurs et m’ont laissé l’impression d’une grande force d’écriture.

Bref, une très belle anthologie, peut-être juste un peu trop courte.

[L’art du baiser. Les plus beaux baisers de la littérature, Paris, Gallimard, coll. Folio, 2011.]

2 commentaires:

  1. Je partage ton avis sur la nécessité des anthologies, ajoutons qu'elles (re)donnent envie de lire des textes lointains, oubliés ou désirés... Par exemple, je n'ai pas lu l'Etudiant Etranger de Labro et je voilà qu'il me revient en mémoire...L'anthologie du baiser est séduisante...
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    Merci pour ce partage!

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    1. Merci d'être passée ici ! Bonne lecture des baisers alors : cette anthologie-ci est vraiment bien construite.

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