Le classique du mois - Les Liaisons dangereuses, Pierre Choderlos de Laclos


Initialement, je n’avais prévu de parler que de mes lectures d’auteurs contemporains sur ce blog afin de ne pas le surcharger, mais ma passion a été plus forte que mes bonnes résolutions et est née cette rubrique, Le classique du mois. Comme son nom l’indique, celle-ci n’apparaît qu’une fois par mois et présente l’auteur ou l’œuvre classique qui m’a particulièrement marquée. Il ne s’agit donc jamais d’un coup de gueule, mais toujours d’un coup de cœur ou au moins d’une lecture fort appréciée. 

Plusieurs lecteurs ont leur livre, celui qui les a marqués d’une façon ou d’une autre, celui qu’ils n’ont jamais pu oublier, ont peut-être relu un certain nombre de fois. Pour moi, ce fut Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos. Je l’ai découvert par hasard il y a quelques années, après avoir vu et aimé l’adaptation qu’en a fait Stephen Frears, et l’ai relu plusieurs fois depuis. Chaque relecture est une nouvelle découverte et un enchantement sans cesse renouvelé : je trouve toujours un élément que je n’avais pas remarqué auparavant ou que je comprenais différemment. Je ne me lasse donc pas de cette œuvre si riche et prends énormément de plaisir à la relire.


Le classique d’avril 2012
Les Liaisons dangereuses 
de Choderlos de Laclos

Présentation de l’éditeur (Folio)  

« J'espère qu'on me comptera pour quelque chose l'aventure de la petite Volanges, dont vous paraissez faire si peu de cas : comme si ce n'était rien, que d'enlever, en une soirée, une jeune fille à son Amant aimé, d'en user ensuite tant qu'on le veut et absolument comme de son bien, et sans plus d'embarras ; d'en obtenir ce qu'on n'ose pas même exiger de toutes les filles dont c'est le métier ; et cela, sans la déranger en rien de son tendre amour... En sorte qu'après ma fantaisie passée, je la remettrai entre les bras de son Amant, pour ainsi dire, sans qu'elle se soit aperçue de rien. »


Mon avis :

Dans ce roman, Laclos joue habilement des possibilités du genre épistolaire et les exploite toutes au mieux et au meilleur moment. En effet, un même évènement, raconté par différents personnages ou par un même personnage à différents destinataires, prend un sens tout à fait différent selon les lettres, ce qui dévoile très bien la psychologie de chacun. Ces lettres ne sont pas seulement lues par leurs destinataires, mais interceptées ou volées par d’autres : elles ne se contentent donc pas d’être des récits des évènements, mais participent de ceux-ci et en sont le moteur. Cette fonction les rend plus vraisemblables, de même que le style particulier à chaque personnage lorsqu’il écrit : on peut reconnaître le destinateur, et même le destinataire pour certaines, de chaque missive, rien qu’avec le ton et la façon de la rédiger.

Cécile Volanges a un style enfantin, un « babillage » qui ne sait pas mentir et dit tout ce qu’elle pense, peu importe à qui elle écrit, ce qui lui est souvent reproché. Son inexpérience la rapproche de Danceny, parfait représentant du petit-maître novice : mieux éduqué en tant qu’homme, il est davantage au fait des usages officiels de la société, mais n’a pas encore reçu les clés des codes libertins. Il en est de même de la Présidente de Tourvel, qui respecte les convenances, mais n’est guère de taille face à un libertin comme Valmont. Les lettres de celui-ci à la présidente sont d’ailleurs de véritables chefs-d’œuvre par les nombreux doubles sens qu’on y trouve : il ne ment jamais véritablement, mais sait jouer du langage et de ses ambigüités. Le doute sur sa sincérité subsiste d’ailleurs jusqu’à la fin, il est impossible de savoir ce qu’il pense réellement, bien que ses échanges avec la marquise de Merteuil soient plus sincères, par leurs confidences et projets réciproques. Enfin, que dire du style de la Marquise ? C’est sans doute celle qui maîtrise le mieux l’art épistolaire et l’âme humaine. Même si elle montre un peu de faiblesse et de jalousie dans la quatrième partie, elle observe tout et est comme la marionnettiste qui tient les ficelles et décide du déroulement du jeu.

Certains ont pu trouver des lenteurs à ce jeu, mais c’est justement parce que le roman suit le rythme des personnages selon moi : au début, Valmont s’amuse de son nouveau projet et des « lenteurs », Danceny et Cécile découvrent l’amour et s’arrêtent à chaque pas pour jouir de ce sentiment nouveau pour eux ; par la suite, les choses s’accélèrent jusqu’à dégénérer finalement. Personnellement, je considère cela comme un vrai coup de maître de la part de Laclos : comme dans la guerre qu’il a pratiqué, après le temps de la stratégie, vient celui de la bataille (et des victimes).

Bref, un chef-d’œuvre à (re)découvrir.



Une modèle de lettre tout à fait génial quand on connaît son rôle :
« On s’ennuie de tout, mon Ange, c’est une Loi de la Nature ; ce n’est pas ma faute.
Si donc je m’ennuie aujourd’hui d’une aventure qui m’a occupé entièrement durant quatre mortels mois, ce n’est pas ma faute.
Si, par exemple, j’ai eu juste autant d’amour que toi de vertu, et c’est sûrement beaucoup dire, il n’est pas étonnant que l’un ait fini en même temps que l’autre. Ce n’est pas ma faute.
Il suit de là, que depuis quelques temps je t’ai trompée : mais aussi, ton éternelle tendresse m’y forçait en quelque sorte ! Ce n’est pas ma faute.
Aujourd’hui, une femme que j’aime éperdument exige que je te sacrifie. Ce n’est pas ma faute.
Je sens bien que voilà une belle occasion de crier au parjure : mais si la Nature n’a accordé aux hommes que la constance, tandis qu’elle donnait aux femmes l’obstination, ce n’est pas ma faute.
Crois-moi, choisis un autre Amant, comme j’ai fait une autre Maîtresse. Ce conseil est bon, très bon ; si tu le trouves mauvais, ce n’est pas ma faute.
Adieu, mon Ange, je t’ai prise avec plaisir, je te quitte sans regret : je te reviendrai peut-être. Ainsi va le monde. Ce n’est pas ma faute. »
[CHODERLOS DE LACLOS Pierre, Les Liaisons dangereuses, Quatrième partie, Lettre 141.]



Le film de Stephen Frears :

C’est peut-être lié au fait que je l’ai vue avant de lire le livre, mais je trouve cette adaptation tout à fait réussie, dans la mesure des limites imposées par le support. L’aspect épistolaire ne pouvait notamment pas être rendu tel que dans le roman, ni certaines lenteurs de Valmont, afin de ne pas alourdir le film. Pour compenser, d’autres détails du roman sont magistralement mis en évidence, notamment dans l’ouverture : celle-ci peut paraître longue, car elle met en place toute l’ambiance de l’intrigue, non seulement par les décors et les costumes, mais également et surtout par l’importance de l’apparence. De plus, la Marquise est montrée face à son miroir, s’observant et essayant quelques expressions, ce qui est un des traits essentiels de son caractère, comme on peut le lire dans la lettre 81 (celle où elle raconte son éducation mondaine) entre autres. Ensuite, bien que rapide et parfois coupée de certaines scènes, l’action respecte le rythme de celle du roman, avec l’accélération finale : cette dernière est même accentuée d’après moi et rendue plus tragique grâce à une vision directe des personnages (cf. la scène où Valmont paraît devant sa complice sans perruque, ni poudre, ce qui rend son impatience plus perceptible, ou la colère de la Marquise) La fin du film, qui humanise davantage la Marquise que ne le fait le roman de Laclos en lui retirant la parole (et en laissant ainsi le lecteur dans l’ignorance de la réaction de ce personnage si secret), est très touchante et magistralement jouée par Glenn Close. La seule scène qui m’ait déçue personnellement est celle du « Ce n’est pas ma faute » : elle est surjouée à mon goût et présente Valmont comme un bien mauvais acteur.
Excepté ce dernier détail, c’est une adaptation plutôt fidèle, dans laquelle on trouve plusieurs citations du roman, et un bon film que je prends plaisir à revoir de temps à autre. 

***
Dans la même rubrique (en 2012) :

10 commentaires:

  1. J'ai tout aimé, le livre (découvert comme toi après le film), le film... Il y a eu des mini-séries télé aussi, un peu "modernisées". Tout est intéressant.

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  2. Bon, au risque de perdre des points, je vais t'avouer qu'en plus de n'avoir pas terminé le livre, je n'ai pas non plus vu le film... Pour ma défense, je voulais finir le livre avant^^
    J'en suis à la moitié à peu près, et jusqu'ici j'adore ! D'ailleurs, je pense qu'une fois que j'aurai terminé mon livre en cours, je vais reprendre Les Liaisons Dangereuses de façon intensive ;)

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  3. Pour ma part, j'ai trouvé le film superbe, et les lenteurs sont en effet (je pense) totalement voulues par Laclos, de façon à adhérer au rythme de la pensée des personnages !
    Bel article, bonne continuation :)

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  4. J'ai vu une adaptation librement inspirée du roman, un film américain parmi de jeunes étudiants (le titre m'échappe). En revanche j'ai lu deux fois le roman, et serais prête à le relire!

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  5. Les Liaisons dangereuses est un classique qui me tente énormément. Et tu me donnes encore plus envie de le découvrir ! ;)

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  6. It is beyond my control... Livre lu 4 ou 5 fois, film vu autant, j'adoooooooooooore et comme toi, je ne m'en lasse pas. Une langue magnifique et toutes les turpitudes de l'âme humaine...

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  7. J'ai dû lire 3 fois ce roman épistolaire et je trouve qu'il allie la finesse des caractères, le rythme, la subtilité, le roman d'époque, tout en s'occupant de sentiments et d'émotions bien actuelles. Le film m'a beaucoup plu aussi. Je le reverrais avec plaisir.

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  8. Un de mes livres préféré :) Je ne l'ai lu qu'une fois mais cela me donne envie de le relire!

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  9. le plus grand roman épistolaire de l'histoire de la littérature - malgré sa conclusion, par trop morale...
    aucune des adaptations cinématographiques réalisées n'a su lui rendre honneur.

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    1. Nous sommes donc d'accord... Mais pas forcément sur la fin : à force de lire des ouvrages sur ce roman, je perçois cette œuvre et sa fin différemment.
      Il me semble impossible de transposer ce roman, ne fut-ce que par son aspect épistolaire (à moins de filmer l'écriture de ces lettres, mais cela n'aurait pas beaucoup de sens, ni d'intérêt au cinéma). Monsieur de C. a parlé de la difficulté d'adapter cette œuvre justement : http://mesdefislitteraires.blogspot.fr/2012/10/de-la-lettre-limage.html

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