Le classique du mois - Mémoires de Justine Guillery


Initialement, je n’avais prévu de parler que de mes lectures d’auteurs contemporains sur ce blog afin de ne pas le surcharger, mais ma passion a été plus forte que mes bonnes résolutions et est née cette rubrique, Le classique du mois. Comme son nom l’indique, celle-ci n’apparaît qu’une fois par mois et présente l’auteur ou l’œuvre classique qui m’a particulièrement marquée. Il ne s’agit donc jamais d’un coup de gueule, mais toujours d’un coup de cœur ou au moins d’une lecture fort appréciée. 

Après avoir délaissé cette rubrique quelques mois, par manque de classiques dont j’aie envie de parler et en partie à cause de ma décision de (re)lire tous les textes de la collection La Lettre et la plume du Livre de poche, j’y reviens avec les Mémoires de Justine Guillery. Ce texte est resté très longtemps inconnu et n’a été publié pour la première fois qu’en 2007, dans l’édition présentée ici (pour en savoir plus sur l’histoire éditoriale de ce texte et sur celui-ci, je vous invite à lire l’introduction de Marie-Paule de Weerdt Pilorge sur le site des Presses Universitaires de Rennes)


Le classique de mars 2012
Mémoires de Justine Guillery
(1789-1846)

Présentation de l’édition présentée et annotée par Marie-Paule de Weerdt-Pilorge :

Les Mémoires de Justine Guillery sont le témoignage précieux parce que rare d'une femme née dans les premières heures de la Révolution et que les évènements laissent presque sans secours. En dépit de l'aide de sa famille, elle doit faire le difficile et fascinant apprentissage de l'autonomie et pour subvenir à ses besoins, il lui faut enseigner dans des pensionnats et chez des particuliers avant de rejoindre ses frères en Belgique.
Ses Mémoires sont ceux d'une vie souvent solitaire, parfois heureuse, toujours riche d'exaltation et d'enthousiasme. Toute une époque renaît ainsi sous sa plume à travers les évènements historiques, les portraits familiers de grands hommes tels que le comte de Saint-Simon ou Augustin Thierry, les portraits d'hommes et de femmes anonymes qui sauront influer sur son destin ou sa pensée. Justine Guillery livre aussi un témoignage sans concession sur la condition des femmes, sur l'éducation des jeunes filles, sur les milieux qu'elle côtoie. Mais plus que l'histoire d'une vie ou d'une époque, ses Mémoires retracent le parcours d'une pensée au carrefour entre deux siècles et qui évolue au gré des lectures et de rencontres ; ils sont mieux encore le vibrant témoignage d'une âme en quête d'un amour sublimé, à la recherche d'une spiritualité toujours plus authentique en qui la passion pour la littérature jamais ne se démentira. De la prime jeunesse à la pleine maturité, Justine Guillery laisse ainsi le portrait d'une femme autodidacte et cultivée, éprise d'absolu et encline au rêve, fondamentalement à l'écoute de son temps mais paradoxalement vouée à l'imaginaire.


Mon avis :

La présentation de l’éditeur étant déjà très complète sur les thèmes abordés dans ces Mémoires, je me concentrerai ici sur ceux qui m’ont particulièrement intéressée et plu, afin d’éviter des redites trop importantes et un article interminable.

Le style tout d’abord est très agréable à lire : sans être à la hauteur des tout grands écrivains de l’époque, on sent que Justine Guillery a reçu une éducation littéraire importante et qu’elle a su en tirer une écriture élégante et raffinée. De plus, n’usant pas de termes spécialement soutenus ou de tournures aujourd’hui moins coutumières, elle peut être très facilement lue, y compris par des lecteurs peu accoutumés à la littérature du 19e siècle.

J’ai également apprécié les passages sur la Belgique où Justine Guillery a vécu quelques années avec ses frères. Bien qu’elle ne soit guère flatteuse envers mes compatriotes passés (elle s’étend plus ou moins longuement sur leur embonpoint, leur manque de raffinement et d’élégance, leur tendance à se mettre à leur aise plutôt qu’à se contraindre par politesse pour les autres, par opposition à l’attitude française plus soucieuse du paraître, notamment), c’est l’un des premiers textes du 19e siècle que je lis où il est vraiment question de mon pays et de ses habitants : je l’ai reçu comme l’expression du préjugé dominant à cette époque et ai trouvé intéressant cet éclairage « extérieur ». Je suis d’ailleurs assez curieuse de lire d’autres témoignages de ce temps ou d’autres pour confirmer ou infirmer cette impression.

Enfin, bien plus que ces deux premiers éléments, ce qui a en grande partie rendu la lecture de ces Mémoires passionnante pour moi, c’est leur aspect féminin : l’auteure étant une femme, elle évoque beaucoup sa situation et celle de ses compagnes, ainsi que son éducation et celle qu’elle a elle-même dispensée en tant que préceptrice. Ceux qui me connaissent ou suivent ce blog savent à quel point c’est un thème qui me tient à cœur et auquel je suis attentive. De ces mémoires, j’ai donc avant tout retenu (et admiré) l’indépendance de l’auteure : laissée très libre dans sa jeunesse, après avoir reçu une éducation assez sommaire, elle a poursuivi celle-ci en autodidacte par la lecture des grands auteurs comme Voltaire, Corneille, Racine et surtout Rousseau qui a eu une grande influence sur ses premières pensées. Par la suite, elle a gardé ce goût de liberté et ne s’est jamais mariée, au début par contrainte puis par choix. Cela impliquait donc qu’elle travaille pour assurer son existence et sa chère indépendance : grâce à sa culture littéraire, elle a pu devenir préceptrice pour plusieurs familles, avec plus ou moins de bonheur et de réussite. Tout n’a pas toujours été idyllique dans son existence (une femme seule attise les convoitises masculines, et elle n’a pas été privée de mépris ou d’avances humiliantes), mais elle a su garder la tête haute et se faire une place dans la société, tant bien que mal. Ce ne fut malheureusement pas le cas de toutes les femmes qu’elle a connus et dont elle a dressé le portrait dans ses Mémoires : elle est loin de n’y parler que d’elle-même, contrairement à ce qu’elle semble annoncer, et peint un tableau général de la société féminine de son temps, souvent malheureuse.

Je vous conseille donc vivement la lecture de ces Mémoires encore peu connus, qui s’inscrivent naturellement dans mon ABC au féminin.


Extrait :
Qui ne se rappelle l'effet que produit sur l'âme s'ouvrant à la vie le premier ouvrage littéraire qui éveille nos sentiments et sert de guide à nos pensées ? Comme il développe nos idées naissantes ! Comme il excite notre enthousiasme et nous fait exister ! Quel est l'homme assez infortuné pour n'avoir pas un auteur favori ? [...] Plusieurs auteurs intéressent et plaisent ; un seul devient l'ami intime de l'âme, l'époux de la pensée.
[WEERDT-PILORGE Marie-Paule de (éd.), Mémoires de Justine Guillery. 1789-1846, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. Mémoire commune, 2007, p. 44]

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Dans la même rubrique (en 2012) :

1 commentaire:

  1. je ne connais pas du tout, il faut dire que ce n'est pas mon domaine de prédilection... Mais j'ai décidé, en parlant de classique, de lire Roméo et Juliette prochainement ... :)

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