Eros en son absence, Sandrine Willems

Présentation de l’éditeur :

« Tenter de dire l’émotion érotique, ses crues et ses tarissements, c’est tenter de dire l’indicible. Or cet indicible-là, pour moi, se lie inextricablement à deux autres champs où les mots manquent : la mystique et la musique. Dans la première, une extase et une transformation des sens voisines de l’expérience érotique ; dans la seconde, une fluidité et un accord des rythmes si proches de l’harmonie des corps.
Aussi ai-je essayé ici de pousser à bout de tels parallèles, en incarnant les métaphores pour que le verbe se fasse chair. En disciple de Sade, la narratrice découvre que rien n’a sur elle tant d’effet que les mots. Passant d’un homme à une femme avant de revenir au premier, elle traverse une initiation à un Kama Sutra verlainien, qui en appelle à “de la musique avant toute chose”, sans rien en elle “qui pèse ou qui pose”. Par là se rejoint l’esthétique des musiciens baroques, où la nuance a plus de puissance que la force, et où l’ornement devient l’essentiel.
Un livre, donc, visant à transcrire une cantate de Bach en caresses. »
Sandrine Willems


Mon avis :

Sade, Verlaine et Bach… Un seul de ces noms aurait suffi à me faire acheter un livre, alors lorsqu’ils sont réunis sur une seule et même quatrième de couverture, comment aurais-je pu hésiter un seul instant ? De plus, la tentative d’écrire l’indicible, notamment musical, est un thème littéraire qui m’intéresse particulièrement. C’est donc dire si mes attentes étaient élevées quant à ce roman, qui les a brillamment comblées.

Le récit, qui se déroule d’un seul souffle, sans division en chapitres, s’ouvre sur une cantate de Bach entendue dans une église baroque par la narratrice. Dès les premières lignes, les éléments structurants du texte sont présents : la mélodie au violon qui accompagnera toute l’intrigue, comme un fil rouge, mise en parallèle avec l’extase mystique et l’émotion érotique. Ces trois indicibles sont exprimés par Sandrine Willems par l’intermédiaire les uns des autres, les métaphores s’entrecroisant habilement : les caresses se font rubato, coulé, sautillé, collé ou trémolo, montent dans les crescendos pour ensuite redescendre dans les diminuendos ; la musique éblouit comme Dieu le fait de celles et ceux qui le voient ; ces derniers sur les peintures semblent jouir. J’ai parfois eu l’impression que l’un de ces motifs passait au second plan lors de certains moments du récit, mais ce n’était que mieux revenir : la musique, par exemple, m’a semblée secondaire vers le milieu du récit, mais la dernière page révèle qu’elle n’a jamais été aussi présente qu’en son absence, tel l’éros, comme l’énonce le titre.

À ces trois indicibles s’ajoutent ensuite les références au marquis de Sade et à Verlaine : M., en disciple du premier, initie la narratrice aux plaisirs érotiques et à la jouissance par le Verbe, le tout sans jamais négliger les préceptes de l’Art poétique du second : jamais rien qui pèse ou qui pose. Utilisés avec justesse et parcimonie, ces deux auteurs, qui font partie de mon panthéon littéraire, imprègnent sans lourdeur ce roman. Sandrine Willems y tresse avec art les références et les motifs littéraires pour offrir au lecteur un petit trésor intertextuel.

ABC au féminin : au-delà des motifs évoqués ci-dessus, je retiens également de ce roman un triangle amoureux bien construit et amené. La narratrice passe d’un homme, F., à une des amies de celui-ci, M. (le jeu des noms est bien entendu intentionnel et très bien exploité) Grâce à ces deux amants, elle sera initiée au plaisir, à la musique et, enfin, au savoir-aimer en général. Durant tout le temps où F. passe au second plan (en apparence toujours : ce qui semble absent est souvent le plus présent dans ce roman), la relation entre les deux femmes est développée, avec ses extases et ses déceptions, ses va-et-vient, ses prises de pouvoir, ses vengeances et ses ruses féminines. Une relation brillamment racontée, où le chat n’est pas toujours celle que l’on croit.

En conclusion, Sandrine Willems a, pour moi, réussi là où Christian Gailly (l’énonciation de l’indicible musical dans K. 622) et Noëlle Revaz (la relation amoureuse, dans ses va-et-vient quotidiens, entre jouissance et dégoût, dans Efina) ont échoué, tout en entremêlant avec virtuosité les références musicales comme littéraires.


Note : le début du roman peut être lu sur le site des Impressions nouvelles


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3 commentaires:

  1. whaouh ! (tu aurais pu participer au swap eros et thanatos !) très très beau billet, je ne connaissais pas cette auteure...à suivre, donc !

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