Petit éloge - Joyeux Noël


Les Petit éloge de Folio constituent une série que j'aime beaucoup, notamment pour sa diversité. En effet, les auteurs sont libres de choisir le sujet de leur éloge, ainsi que la façon de le traiter : certains choisissent l'essai, d'autres la nouvelle, les aphorismes, le témoignage ou encore le théâtre.

C’est pour cette raison que j’ai décidé d’offrir à quatre de mes amies un exemplaire de cette série, en fonction de leur personnalité et du thème qui pourrait leur plaire/leur correspondre : à Namého la mémoire, à Clowtilde le sensible, à E. la gourmandise et à Pauline l’ironie. Joyeux Noël à elles, ainsi qu’à vous : en vous souhaitant de belles découvertes littéraires, dans cette série ou d’autres.


Petit éloge de la mémoire
Boualem Sansal
(relu le 14 décembre 2011)

Libellés : coup de cœur, témoignage

Présentation de l’éditeur :

« C'est le plus lointain, celui que j'aime à explorer, qui me donne le plus de frissons. Écoutez-moi raconter mon pays, l'Égypte, la mère du monde. Remplissez bien votre clepsydre, le voyage compte quatre mille et une années et il n'y a pas de halte.
Jadis, en ces temps fort lointains, avant la Malédiction, j'ai vécu en Égypte au temps de Pharaon. J'y suis né et c'est là que je suis mort, bien avancé en âge... »


Mon avis :

Après relecture, j’en reviens à la même conclusion que la première fois : ce petit éloge fait décidément partie de mes préférés dans la série. Boualem Sansal y fait un voyage temporel étonnant et fascinant : celui de la nostalgie. Très humble, il ne s’invente pas des vies antérieures dans la peau de personnages prestigieux ; au contraire, il se place plutôt comme un observateur de son temps et de ses contemporains, un être dont on a oublié le nom et même l’existence, une poussière de plus dans le désert. A travers ce récit, bien plus que sa propre vie, c’est l’histoire de son pays, de son peuple et de sa culture qu’il explore, de façon précise et fine (et malheureusement rapide étant donné le petit nombre de page de la collection Folio 2€). Depuis l’Egypte jusqu’à l’Algérie, en faisant un long arrêt en Numidie, est retracée l’Histoire de ce territoire et de ses habitants, de guerre en guerre, d’une occupation étrangère à une autre, jusqu’à l’indépendance, la situation présente et le futur encore à construire. J’ai beaucoup appris lors de cette lecture, mais j’en retiendrai avant tout la note d’espoir finale et l’esprit : ce passé qui nous construit et qu’on oublie malgré tout, qu’on néglige, cette nostalgie à laquelle nous invite l’auteur, ce regard en arrière pour mieux appréhender ce qui se passe devant nous et aller de l’avant.

Un magnifique voyage relaté dans une écriture fine et ciselée, que je ne peux que vous conseiller vivement.

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Petit éloge du sensible
Elisabeth Barillé
(relu le 15 décembre 2011)

Libellés : coup de cœur, témoignage

Présentation de l’éditeur :
 
« Je choisis ce qu'il y a en moi d'essentiel, d'infini et de non monnayable. Je choisis de cultiver l'esprit de finesse, les émotions délicates, les sensations patiemment tamisées, sachant que si la faim du corps, toute impérieuse soit-elle, a ses impasses, celle de l'esprit, elle, s'accorde à l'illimité, tout comme les nourritures dont il se rassasie : l'offrande ultime d'une rose de novembre, l'âcreté sensuelle d'un feu de cheminée, le nuancier d'un ciel normand, l'ivresse du baiser qu'on n'attendait plus.
Je choisis l'ordre sensible contre la tyrannie sclérosante des ambitions. »


Mon avis :

De manière générale, j’aime beaucoup l’ensemble de la série des Petit éloge, bien que certains se distinguent davantage et fassent partie de mes préférés (ou de mes coups de gueule, mais c’est plus rare) pour diverses raisons ; celui a un statut encore plus particulier pour moi : il est véritablement LE meilleur à mes yeux, celui que j’aime le plus dans toute la série et qui n’a jamais été détrôné jusqu’ici. 

Derrière cet éloge du sensible, c’est tout un art de vivre et d’écrire que développe Elisabeth Barillé, de façon très fine et délicate, tout en saveurs et sensations. Cela commence dès les premières lignes, par un prologue en cuisine, dans laquelle se déroule une conversation entre la narratrice et une amie : d’abord dubitative, cette dernière se laisse convaincre au fil de la discussion, entrecoupée d’odeurs culinaires et de souvenirs. Selon l’auteure, qui fait appel à un très grand nombre d’auteurs qu’elle cite au cours de son éloge, la cuisine et l’écriture ne sont pas si différentes qu’on pourrait le penser, en matière de sensible. S’égrènent ensuite d’autres chapitres, assez courts souvent, où l’idée principale est un refus de la sensiblerie ambiante de notre époque, qui n’est qu’une dénaturation commerciale de la vraie sensibilité. Cela se manifeste tout au long de cet essai-témoignage par une série de comportements, de gestes et d’attention portée à ce qui l’entoure.

Un petit éloge magnifique, servi par une écriture fluide comme une caresse et délicate.

Une question que j’aimerais poser à l’auteure si j’en ai un jour l’occasion : pourquoi ces deux chapitres à la deuxième personne du pluriel en parlant d’elle-même ? (ils m’intriguent vraiment, et je n’ai pas trouvé d’hypothèse qui satisfasse ma curiosité jusqu’à présent)

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Petit éloge de la gourmandise
Grégoire Polet
(relu le 15 décembre 2011)

Libellés : essai, témoignage

Présentation de l’éditeur :

« La gourmandise est toujours sans gravité, c'est ce qui fait tout son charme. La gourmandise est comme un tableau où l'on n'utiliserait pas le noir, seulement des couleurs claires, des jaunes de Tiepolo, des bleus et des blancs de Boucher, des verts frondaison de Fragonard ; la gourmandise à table, c'est la gaieté au théâtre ou la galanterie en amour (trois G), sans gravité, mais allant tout de même, en s'échelonnant, de la grossièreté jusqu'au raffinement le plus exquis. »


Mon avis :

N’ayant jamais lu ces deux livres de façon aussi rapprochée auparavant, je n’ai remarqué qu’aujourd’hui à quel point ce petit éloge de la gourmandise était proche du petit éloge du sensible, autant dans l’état d’esprit que dans la forme. Les deux auteurs abordent le thème qu’ils ont choisi sous l’angle du témoignage, avec toutefois des éléments plus théoriques et objectifs chez le second, en citant un grand nombre d’auteurs : très cultivés, ils savent user de ces citations avec justesse, afin d’éclairer leur texte et de lui donner une certaine autorité. Tout comme Elisabeth Barillé, Grégoire Polet associe l’objet de son texte à l’art et à l’écriture, dans une synthèse qui peut surprendre au premier abord, mais qui a su me convaincre. Selon lui, la gourmandise n’est pas seulement la troisième étape, la plus raffinée, après la faim et l’appétit, dont il retrace le parcours au début de son éloge, mais aussi une fiction poétique et, surtout, une célébration. Il le démontre admirablement en un peu moins de cent pages où il nous fait voyager d’une saveur à l’autre, de la faim à la gourmandise. Enfin, il en arrive à la même conclusion d’épicurisme et d’ascète qu’Elisabeth Barillé : c’est de cette manière que s’affinent les sensations et qu’elles se font plus vives.

Un merveilleux voyage à travers les saveurs de tous pays et de tous temps, accompagné de nombreuses pensées et réflexions. Assez classiquement, j’ajouterai : à déguster sans modération.

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Petit éloge de l’ironie
Vincent Delecroix
(relu le 16 décembre 2011)

Libellés : conte, dialogue, essai

Présentation de l’éditeur :

« Le fastidieux d'un petit éloge de l'ironie : la millième critique ironique des bobos, des animateurs d'émissions littéraires, des vieux grincheux, des donneurs de leçons, des imposteurs de tout poil, des intellectuels vaniteux, des arrivistes et des parvenus, des publicistes, des footballeurs, des artistes contemporains, des démagogues, des rebelles mondains, des chanteurs, des bécasses, des Parisiens, des écrivains à la mode, des bouffons médiatiques, etc., etc. Puis on étendra au moindre détail quotidien de la vie de n'importe qui, étant donné que rigoureusement personne n'est à l'abri d'offrir matière à ironie. Cette extension illimitée, qui constitue un fonds de commerce inépuisable, est en réalité une réduction et cette réduction de l'ironie à une micro critique sociologique ne mérite elle-même qu'une critique sociologique. Tout ce qui reste du grand jeu de l'ironie. »


Mon avis :

Ce n’est pas un coup de cœur pour moi, mais plutôt un coup de maître de la part de l’auteur. Avant ma première lecture, j’étais assez enthousiasmée par le thème et dubitative face à l’exploitation : comment faire un éloge de l’ironie convaincant, sans tomber dans les travers dénoncés dans l’extrait en quatrième de couverture ? Après ma découverte et encore après cette relecture, je répondrais « comme l’a fait Vincent Delecroix, par exemple ». Il a repris les trois formes canoniques de l’ironie : l’aphorisme, le dialogue à la manière de Diderot et le conte philosophique voltairien, avec génie. Dans chacune de ces trois parties, il allie présentation, critique et éloge de son sujet, parvenant même à faire preuve d’ironie envers celle-ci. Les Fragments me plaisaient assez au début, mais ont fini par me lasser. Les deux formes littéraires suivantes par contre ont su prévenir cette lassitude grâce à une chute surprenante et légère, telle une pirouette, une pointe d’ironie.

Bref, un petit éloge mené de main de maître par un ironiste confirmé et virtuose.


Un de mes fragments préférés :
L’ironie, c’est l’ensemble des sons que produit le langage avant qu’il ne soit accordé sur la note juste. Ça grince.
[DELECROIX Vincent, Petit éloge de l’ironie, Paris, Gallimard, 2010, coll. Folio, p. 12.]

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Dans la même série :
  • Janvier 2007 petit éloge : d'un solitaire, du temps présent, de l'excès, de la peau
  • Octobre 2007 petit éloge : de la douceur, des grandes villes, de la jalousie, de l'enfance, de la bicyclette
  • Septembre 2008 petit éloge : des faits divers, de la haine, de la colère 
  • Septembre 2009  petit éloge : de la vie de tous les jours, de la rupture, des petites filles, du catholicisme
  • Septembre 2010 petit éloge : des voisins, de la paternité
  • Septembre 2011 – petit éloge : de la joie, du cinéma d’aujourd’hui, de la première fois, des amoureux du silence
  • Septembre 2012 - petit éloge : des séries télé, des coins de rue
  • Mai 2013 - petit éloge : des vacances, du Tour de France
  • Septembre 2013 - petit éloge : des brunes, du désir 

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